Le sommeil est une fonction biologique essentielle pour le bon fonctionnement de l’organisme, que ce soit au niveau du cerveau ou de la santé de manière plus générale. Cependant, comment le sommeil délivre ses bienfaits demeure un mystère.
Dans un article publié le 9 août 2018 dans le journal en libre accès PLOS Biology, les chercheurs Paul Franken, Shanaz Diessler, Maxime Jan et Ioannis Xenarios du Centre intégratif de génomique (CIG) de l’UNIL et de Vital-IT explorent de nouvelles pistes pour décrypter les secrets du sommeil à large échelle. Ils ouvrent ainsi la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques.
Une approche globale des phénomènes
Afin de mener à bien leurs investigations, les scientifiques ont utilisé l’approche dite de la «génétique des systèmes». Le but étant de tirer des déductions sur certains phénomènes biologiques en liant de multiples niveaux d’information. Les variations génomiques constituent le niveau principal, qui peut être complété par d’autres niveaux tels que des phénotypes, le niveau d’expression des gènes et des métabolites. «La génétique des systèmes permet d’avoir une vue globale et interconnectée de nombreux phénomènes», explique Paul Franken, professeur associé au CIG et directeur de l’étude publiée dans PLOS Biology. «Elle est par conséquent considérée comme une approche très prometteuse pour mieux prédire et comprendre certaines prédispositions à des maladies».
Des réactions variables à la privation de sommeil
Les chercheurs ont utilisé cette méthode chez la souris dans le but d’identifier des voies de signalisation moléculaire qui prédisent la résilience ou la sensibilité à la privation de sommeil. Sept années de travail ont été requises afin d’assembler et analyser ces données pour finalement aboutir à la création d’une base de connaissances libre et interactive (voir https://bxd.vital-it.ch/). «Cette base recense les effets de la privation de sommeil ainsi que des variations génomiques sur le cerveau, le foie et le métabolisme des souris, mais aussi sur leur activité cérébrale et leur comportement d’éveil-sommeil à un niveau de détails sans précédent», précise Maxime Jan, doctorant travaillant au CIG et à Vital-IT lors de l’étude et qui partage le statut de premier auteur avec Shanaz Diessler.
Des variants génétiques ont été identifiés
L’exploration de ces données a déjà permis d’aboutir à de nouvelles découvertes. Elle a, par exemple, mis en lumière le fait que la privation de sommeil durant la première moitié de la phase de repos habituelle (la phase lumineuse chez la souris) affecte sensiblement les différents systèmes des souris; 78% des gènes du cerveau ont ainsi vu leur expression se modifier! «Nous avons identifié un certain nombre de variants génétiques qui n’exercent leur action que suite à une privation de sommeil et non lorsqu’ils ne sont pas perturbés. De plus, ces variants peuvent déterminer l’amplitude, voire dans certains cas la direction, de la réponse moléculaire ou comportementale à la privation de sommeil, expliquant les changements inter-individuels importants qui résultent d’un sommeil insuffisant», explique Paul Franken.
Une vision du sommeil revisitée
Selon les auteurs, l’observation la plus frappante de ces analyses réside vraisemblablement dans le fait que les molécules et voies métaboliques actives dans le tissu périphérique (foie) semblent influencer directement certains phénotypes considérés comme appartenant au système nerveux central. Ils citent à titre d’exemple la fréquence des oscillations provenant de régions cérébrales spécifiques comme l’hippocampe.
Des données convergentes issues des quatre niveaux d’information (i.e. génome, phénome, transcriptome, métabolome) ont également mis en avant l’implication du métabolisme des acides gras dans les conséquences négatives de la perte de sommeil. «De telles découvertes peuvent non seulement ouvrir la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques, mais aussi remettre en question la vision du sommeil principalement centrée sur le cerveau qui a longtemps guidé les hypothèses sur sa fonction et sa régulation», commente Maxime Jan.
La collaboration va se poursuivre afin de renforcer les connaissances en ajoutant des nouveaux niveaux de régulation moléculaire. Le développement de nouveaux outils bioinformatiques sera requis pour mettre en évidence les nombreuses interactions et voies encore cachées dans ces données. «Nous espérons que, grâce à cette approche impartiale, nous en apprendrons davantage sur notre besoin de dormir», conclut Paul Franken.