La FBM présente chaque mois les femmes et les hommes qui font vivre la Faculté. Aujourd’hui, Alexandre Moulin, maître d'enseignement et de recherche clinique (MERclin) à l’UNIL, médecin associé et responsable du Laboratoire de pathologie à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin.
Alexandre Moulin, pouvez-vous résumer votre parcours?
Au terme de mes études de médecine, en 1998 à Lausanne, j’étais déjà intéressé par l’ophtalmologie, mais il y avait une liste d’attente. J’ai alors fait de la pathologie, et cela a été une révélation: l’idée ne m’avait pas effleuré avant, mais j’ai eu l’impression de trouver un gant à ma taille. Ce double profil, ophtalmologie et pathologie, intéressait Jules-Gonin, et je suis parti aux Etats-Unis: je suis allé à Boston, au Massachussetts Eye and Ear Infirmary, où exerçait alors Ted Dryja, qui avait co-découvert le gène du rétinoblastome. A Boston, c’était un environnement très stimulant et très ouvert. Il y avait une forte émulation et tout semblait possible. C’est là aussi que j’ai commencé à m’intéresser à la dermatopathologie et à aux mélanomes. De retour en Suisse, j’ai d’abord terminé ma formation en pathologie, puis j’ai effectué ma formation en ophtalmologie. Avoir cette double spécialisation en pathologie et en ophtalmologie est plutôt rare – nous sommes une poignée en Europe.
Comment conciliez-vous votre activité clinique, de diagnostic, avec la recherche?
Ma position est située à l’interface entre la clinique et la recherche, bien que ma responsabilité principale soit d’assurer le fonctionnement du Laboratoire de pathologie au sein de l’Hôpital ophtalmique. Le gros de notre travail concerne les tumeurs dont la majorité sont heureusement bénignes. Parmi les tumeurs malignes, nous retrouvons le mélanome de l’uvée, le mélanome de la conjonctive et le rétinoblastome, ainsi que des tumeurs de la peau des paupières. Il est plus compliqué, vous l’imaginez, d’effectuer une biopsie à l’intérieur l’œil que d’effectuer une biopsie de peau par exemple. La particularité de l’oncologie oculaire est qu’en plus de la vision, la vie des patients est en jeu. Les mélanomes de l’uvée, par exemple, ont tendance à métastaser dans le foie. Mon rôle comprend non seulement le diagnostic, mais aussi une évaluation du pronostic pour orienter la suite du traitement. La recherche dans ce domaine est possible grâce à l’accès aux tissus de ces tumeurs rares. Mon souhait est de mieux comprendre le développement des tumeurs afin de pouvoir mieux les combattre.
Le pronostic est souvent sombre…
Avec le mélanome de l’uvée (ndlr: la partie intermédiaire pigmentaire de l’œil, située entre la sclère – le «blanc de l’œil» - et la rétine), on observe un pic de mortalité à deux ans. Dans les années 70, on pensait que l’énucléation entrainait une dissémination des cellules cancéreuses par le sang. On a donc privilégié des traitements alternatifs, comme la brachythérapie, puis le traitement par protons. Malheureusement, malgré ces traitements, ce même pic de mortalité à deux ans était toujours observé. Cette mortalité est liée à la dissémination de la tumeur, et ce comportement métastatique a alors été associé à certaines anomalies génétiques. Nous sommes actuellement dans la situation où nous pouvons prédire quels patients vont développer des métastases, mais les moyens actuels à disposition pour les prévenir et les traiter sont limités. Il est donc fondamental de parvenir à comprendre la biologie de ces tumeurs.
En tant que chercheur, quel est votre moteur?
Quand on observe des tumeurs au microscope, il est difficile de rester passif et contemplatif face à leur agressivité, les tumeurs détruisant ou remodelant l’environnement local, infiltrant les tissus. On sent la nécessité de faire quelque chose face à cela, de percer les mécanismes sous-jacents, de «faire parler les tissus». Nous sommes souvent face à des situations dramatiques, qui renforcent encore ce besoin d’agir. Grâce notamment au Professeur Zografos, qui a introduit la brachythérapie à Lausanne, nous drainons des patients de Suisse, mais aussi d’Italie et d’une partie du pourtour méditerranéen. D’avoir une masse critique de cas, de matériel, est important pour la recherche. Nous bénéficions également d’un riche réseau de collaborations: notamment avec l’équipe de Nicolo Riggi, à l’Institut de pathologie du CHUV, pour la pathologie expérimentale; avec Carlo Rivolta pour la génétique; avec le Professeur Kaya aux HUG; ou encore Aurélien Thomas au CURML.
Quelles sont les pistes pour l’avenir?
Outre les potentiels traitements sur lesquels nous travaillons notamment avec l’équipe de Nicolo Riggi, il faut optimiser la détection de ces tumeurs. Certains mélanomes de l’uvée peuvent rester silencieux des années durant, sans symptômes. Les détecter plus tôt est certainement un bon moyen d’influencer le pronostic. Si les mélanomes de la conjonctive, plus rares, ont un meilleur pronostic, c’est sans doute aussi parce qu’ils apparaissent pour la plupart d’entre eux à la surface de l’œil et ils sont donc plus facilement détectables.