Une nouvelle étude menée par des chercheurs du Département d’écologie et évolution à l’Université de Lausanne, en collaboration avec le Conseil national de recherches en Espagne, montre qu’un aspect-clé de la reproduction des plantes à fleurs dépend de l'environnement social dans lequel elles poussent.
Les résultats de ce travail publiés dans Nature Communications montrent que les plantes peuvent reconnaître l'identité génétique de leurs voisines et adapter leur floraison aux caractéristiques du groupe. Les réponses végétales trouvées dans cette étude étendent les prédictions des bases évolutives du comportement, proposées par Hamilton (le principe de la sélection de parentèle), largement démontrées chez les animaux, aux stratégies reproductrices des plantes.
Des milliers de graines de la plante Moricandia moricandioides ont été cultivées dans les serres du Département d'écologie et évolution à l'Université de Lausanne. Selon le DrSc. Ruben Torices, qui a mené l'étude au cours de ses deux années passées à l'Université de Lausanne dans le cadre d'un projet Marie Sklodowska-Curie: «L'objectif de l'étude était de manipuler l'environnement social dans lequel les plantes ont grandi. Cet environnement social est formé par les interactions avec les plantes voisines. S'adapter correctement à cet environnement pourrait être crucial dans la vie d'une plante, car elle ne peut pas fuir ses voisines ». Comme l'explique ce même auteur, « Dans des pots, nous avons essentiellement forcé certaines plantes à pousser entourées de plantes étroitement apparentées, tandis que d'autres ont grandi entourées d'un échantillon aléatoire de plantes de la même population ».
L'étude montre que les plantes ne sont pas passives vis-à-vis de leur environnement social et modifient leur stratégie de floraison en s'adaptant à leur environnement particulier. Ces plantes sont en effet capables de déterminer si les plantes qui les entourent sont des parentes et, si tel est le cas, investissent plus de ressources en produisant des fleurs plus grandes, attirant ainsi plus de pollinisateurs.
La reconnaissance de la famille chez les plantes.
La question de savoir si les animaux sont capables de distinguer les individus apparentés d’individus non apparentés a longtemps fasciné les biologistes. Au cours de ces dernières années, ce champ d'investigation fascinant a fourni plusieurs exemples de différents mécanismes de reconnaissance chez les animaux, mais aussi chez les champignons et même chez les bactéries. «Le comportement différentiel des plantes en fonction des différents milieux sociaux soutient l'idée suggérée au cours des dernières années que les plantes peuvent également être en mesure de distinguer leurs proches», souligne le DrSc. John Pannell, chercheur et professeur ordinaire au sein du Département d’écologie et évolution et coauteur de l’étude.
Au cours de ces dernières années, il a en effet été démontré que les plantes possèdent des mécanismes moléculaires complexes leur permettant de distinguer les individus avec lesquels elles interagissent selon leur degré de parenté. Par ailleurs, les racines des plantes établissent des synergies avec certains micro-organismes présents dans le sol, y compris des champignons, qu’elles parviennent à distinguer parmi une multitude d'autres êtres vivants. « Ces mécanismes peuvent avoir des conséquences au-delà des interactions sur le terrain et pourraient également affecter les stratégies florales pour attirer les pollinisateurs », explique le DrSc. José María Gómez du Conseil national de recherches en Espagne et autre coauteur de l’étude.
Le bien commun et l'altruisme botanique
L'étude attire l'attention sur la coopération possible en matière de reproduction chez les plantes. La plupart des plantes ont besoin de pollinisateurs pour transférer leur pollen d'une fleur à une autre. À nos yeux, un champ de fleurs peut être un exemple de beauté, mais du point de vue d'une plante, un champ plein de fleurs est une guerre sans répit pour attirer l'attention des pollinisateurs capables de fertiliser leurs fleurs.
À cette fin, les plantes attirent les insectes et d'autres animaux pollinisateurs grâce à leurs pétales colorés et en récompensant leur visite avec du nectar chargé de sucre. Les pollinisateurs, en revanche, selon le principe de l'effort minimum, essaient de visiter le maximum de fleurs, en faisant le moins de dépense possible d'énergie. Ainsi, les pollinisateurs favorisent les plantes poussant dans des groupes denses et évitent les plantes plutôt isolées.
Par conséquent, les fleurs produites par les plantes d'un groupe fonctionnent comme un bien public, contribuant collectivement à l'attraction des pollinisateurs vers le groupe. Plus il y a de fleurs dans le groupe, plus les chances d'attirer un pollinisateur vers le groupe sont grandes. La théorie de la sélection de parentèle prédit que, dans un tel scénario, on s'attend à ce que la contribution au bien public soit plus grande lorsque les membres du groupe sont génétiquement apparentés les uns avec les autres. Les résultats de l’étude de Torices, Gomez et Pannell soutiennent cette notion.
L’étude laisse entrevoir la possibilité d'un comportement social chez les plantes qui affecte leur reproduction. « L'investissement dans les fleurs implique un coût pour la plante. Si ce coût est bénéfique pour le groupe au détriment de la plante individuelle, nous pourrions parler d'un cas d'altruisme chez les plantes », conclut le DrSc. Torices. « Bien que nous n'ayons pas encore la preuve d’un tel altruisme, nos résultats confirment que les plantes répondent à l'environnement social d'une manière claire, probablement afin de maximiser leur reproduction.