Nouvelle référence dans la littérature sur le management et la stratégie, le "Handbook of Middle Management Strategy Process Research", publié aux éditions Edward Elgar Publishing, met en lumière la vision du Prof. Xavier Castañer, Faculté des HEC (UNIL) et de son co-auteur Howard Yu (IMD), quant au rôle des middle et des top managers dans le processus de stratégie.
Véritable recueil signé par Steven W. Floyd et Bill Wooldridge, cet ouvrage fait intervenir plusieurs scientifiques sur le consensus qui tend à donner un rôle prépondérant aux middle managers dans la définition et la mise en œuvre des stratégies.
C’est de manière quelque peu atypique que les Professeurs Castañer et Yu entrent en scène dans le premier chapitre qui leur est réservé. Ils vont ainsi exposer d’entrée un nouveau regard sur ce courant scientifique né des célèbres chercheurs que sont Bower, Mintzberg et Burgelman; questionnant plusieurs principes et théories relatés dans le manuel, allant parfois même à contre-courant des idées portées par Steven W. Floyd et Bill Wooldridge.
En invitant le Prof. Castañer et son co-auteur à exprimer leurs idées, Steven W. Floyd et Bill Wooldridge auraient-ils cherché à ouvrir de nouvelles portes pour faire évoluer leur courant de pensée? C’est ce que nous avons cherché à comprendre en questionnant le Prof. Castañer.
Retour sur les origines du courant actuel. Les travaux réalisés entre les années 70 et 90 par les trois principaux penseurs à l’origine de ce courant – Bower, Mintzberg et Burgelman – conduisent tous à la même conclusion: les middle managers occupent un rôle prépondérant dans la formulation et la mise en œuvre de la stratégie par rapport à la direction. Confrontés aux réalités du terrain et de l’opérationnel, les middle managers vont devoir prendre des initiatives pour remplir leurs objectifs. Initiatives qui, par la suite, si elles s’avèrent efficaces et qu’elles sont validées par la direction, vont être intégrées dans la stratégie. Ce qui aura probablement pour conséquence de donner une nouvelle tournure à la stratégie initialement fixée. C’est ce que l’on appelle le phénomène d’émergence de la stratégie en bottom-up.
Or, pour le Professeur Xavier Castañer, le rôle du middle management nécessiterait d’être nuancé. «Le top management se doit d’exercer directement son influence sur la stratégie lorsque, par exemple, l’entreprise semble ne plus remplir sa mission première» précise-t-il. Dans l’ouvrage de S. W. Floyd et B. Wooldridge, les Professeurs Castañer et Yu citent le cas de l’organisation Common Ground qu’ils ont étudiée à New York et qui a pour but de réduire le nombre de sans-abris dans Times Square. Créée en 1990, cette organisation qui devient florissante, se voit récompensée 20 ans plus tard par de nombreux prix, attestant d’une reconnaissance de portée nationale et internationale.
Pourtant, sa fondatrice et directrice générale, Roxanne Haggerty, continue d’observer que certaines personnes demeurent sans abri, refusant les services de l’association. Pour elle, le succès que rencontre l’association – que ce soit au niveau financier ou réputationnel – passe au second plan, l’existence de personnes dites ‘récalcitrantes’ représentant une situation inacceptable et le défi à relever. C’est alors qu’elle décide de reconsidérer le fonctionnement de son organisation et de ses procédures, ainsi que l’offre de logements et les normes comportementales.
C’est en étudiant ce cas que Xavier Castañer identifie une nouvelle forme de motivation au sein des organisations: celle qui, au-delà des motivations dites intrinsèques (plaisir d’exercer le rôle de dirigeant) ou extrinsèques (reconnaissance financière ou réputationnelle) conduit le top management à utiliser sa fonction de dirigeant·e pour exercer une véritable impulsion stratégique, même si l’entreprise atteint, voire surpasse ses objectifs. Il s’agit de la motivation liée au respect de la mission de l’entreprise et à son impact sur les autres; celle qui, à l’image de Steve Jobs à qui l’on a attribué une véritable obsession pour la facilité d’utilisation des produits Apple, peut se déclarer chez n’importe quel·quelle dirigeant·e d’entreprise, que ce soit dans le secteur privé ou public, avec ou sans but lucratif.
«C’est typiquement dans ce genre de situation que certains dirigeants vont reprendre leur rôle de top manager dans la définition et la mise en œuvre de la stratégie, inversant la tendance bottom-up dont il est question dans le manuel de Steven W. Floyd et Bill Wooldridge» conclut Xavier Castañer.
Finalement, pour quelle raison les auteurs Steven W. Floyd et Bill Wooldridge ont-ils fait le choix d’intégrer dans leur ouvrage une approche différente de celle qu’ils ont portée pendant toutes ces années? «Bill Wooldridge et Steven W. Floyd ont fait preuve d’une impressionnante ouverture d’esprit» souligne le Prof. Castañer. «Anciens middle managers dans les années 80, ils ont décidé de rejoindre le monde académique pour mettre à profit leur expérience et plaider en faveur des middle managers dans le processus de stratégie. En 20 ans, ils ont développé un véritable courant de recherche. À l’aube de leur retraite, ce manuel laisse une forme d’héritage à la communauté scientifique et à toute personne intéressée par le sujet. Qu’y a-t-il de plus noble, alors, que d’y réserver aussi un espace pour des approches divergentes?».
Découvrir en libre accès le chapitre 1 rédigé par le Prof. Castañer et son co-auteur.