Les progrès de la génétique ont permis de grandes avancées en matière de recherche. Chaque année, plusieurs nouvelles maladies rares sont découvertes. Le Prof. Alexandre Reymond, directeur du Centre intégratif de génomique (CIG) de l’UNIL, décrit dans l’édition de janvier 2018 de l’«American Journal of Human Genetics» la cause génétique d’un syndrome jusqu’alors inconnu et souvent incompatible avec la vie.
Identifier la ou les mutation(s) génétique(s) responsable(s) d’une maladie parmi les 3,2 milliards de lettres qui constituent l’alphabet de notre génome revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Il y a cinq ans encore, de telles recherches nécessitaient de mener des investigations sur de grandes familles comprenant de nombreux membres affectés par une pathologie donnée. Une généalogie précise devait alors être élaborée afin de connaître le «pedigree» de la famille.
L’arrivée de nouveaux outils d’analyse, notamment le séquençage à haut débit, ont permis de déterminer l’enchaînement des lettres pour un fragment d’ADN donné à des coûts et dans des temps fortement réduits. «Grâce aux séquenceurs à haut débit, nous pouvons identifier de manière précise les régions responsables d’une maladie, la diagnostiquer et trouver potentiellement de nouveaux traitements», explique Alexandre Reymond, professeur ordinaire à la Faculté de biologie et de médecine et directeur du Centre intégratif de génomique de l’UNIL.
Un changement de paradigme
Grâce à cette nouvelle génération de séquenceurs, les scientifiques jusqu’alors contraints de travailler sur de grandes familles comprenant de nombreux individus affectés peuvent désormais se contenter d’un trio comprenant le père, la mère et l’enfant malade. «Un seul patient suffit dorénavant, ce qui implique que la cause de maladies très très rares peut être identifiée et étudiée», souligne Alexandre Reymond. C’est le cas notamment de la maladie qui fait aujourd’hui l’objet d’une publication dans l’American Journal of Human Genetics. Celle-ci se manifeste chez le patient par une malformation cérébrale sévère: l’enfant ne parle pas, ne marche pas. Une raideur articulaire (arthrogrypose) et un pied-bot constituent d’autres symptômes. Dans les cas les plus sévères, le fœtus ou le nouveau-né ne survivent pas.
Le fruit d’une collaboration internationale
Les patients étant très rares, l’étude dirigée par le Prof. Reymond a nécessité une collaboration étroite avec plusieurs autres pays. La Lituanie, où une famille comprenant deux enfants atteints a été identifiée, a servi de point de départ aux recherches. «Le séquençage à haut débit du génome de chaque membre de cette famille et sa comparaison avec le génome de dizaines de milliers d’individus sains nous ont permis de révéler la mutation génétique à l’origine de la maladie», relate Lucie Gueneau, post-doctorante au CIG et première auteure de l’étude. La Lituanie s’est chargée de la génétique clinique et de l’identification des symptômes, alors que le CIG a assuré la phase de séquençage et l’analyse génétique. Les mutations ont été découvertes dans le gène KIAA1109 qui contient l'information nécessaire à la fabrication d'une protéine de très grande taille présente chez la plupart des animaux.
Neuf autres familles touchées par ce même syndrome rare ont été identifiées en Arabie saoudite, au Royaume-Uni, en Algérie, en Tunisie, aux Etats-Unis et à Singapour. Cette cohorte de 13 patients a permis d’établir le profil clinique complet de la pathologie et de confirmer les résultats préliminaires des chercheurs lausannois. «Quand on travaille sur des maladies affectant seulement quelques individus sur la planète, la collaboration internationale entre généticiens est indispensable», souligne encore Alexandre Reymond. Il a baptisé cette nouvelle pathologie le syndrome d’Alkuraya-Kučinskas pour honorer les cliniciens lituanien et saoudien ayant identifié les premiers patients.
L’utilisation d’organismes modèles génétiquement modifiés tels que la souris, la mouche drosophile ou encore le poisson zèbre ont constitué des outils précieux pour pousser plus avant les investigations. «La prochaine étape consiste à comprendre le rôle normal de la protéine KIAA1109 qui est inactivée chez les patients», conclut le professeur lausannois.