Une étude menée par des chercheurs de l’Université de Lausanne (UNIL) révèle que le génome du chêne de Napoléon, vénérable emblème de Dorigny, a peu évolué au cours de ses 234 premières années d’existence. Cet étonnant résultat, publié dans "Nature Plants", suggère que l’arbre est capable de se protéger contre l’accumulation de mutations génétiques délétères.
La légende raconte que le chêne de Napoléon aurait été planté par la famille de Loys, propriétaire du domaine de Dorigny, pour commémorer le passage de l’empereur. Ce dernier fait halte à Saint-Sulpice le 12 mai 1800 pour inspecter ses troupes. Depuis, l’arbre de plus de 30 mètres s’est érigé en symbole du campus de l’Université de Lausanne.
Fruit d’une collaboration entre huit professeurs de l’UNIL*, ainsi que du SIB Institut suisse de bio-informatique, le projet interdisciplinaire « Napoleome » est lancé en 2012. Il vise à séquencer le génome complet du chêne pédonculé. Son originalité repose sur l’analyse des différences génétiques au sein de plusieurs parties d’un seul et même individu, une première dans le domaine de la biologie végétale.
Les chercheurs de l’UNIL ont prélevé et analysé des échantillons sur 26 branches de la plante. Deux d’entre elles, situées aux extrémités du chêne, à près de 40 mètres l’une de l’autre, ont vu leurs génomes respectifs entièrement séquencés. Après avoir déterminé l’enchaînement des nucléotides (structures de bases de l’ADN, composées des lettres ACGT), les scientifiques les ont comparés, ne trouvant que 17 différences (inversions de lettres) parmi les 750 millions de nucléotides que possède le chêne. L'origine et la propagation de ces 17 mutations dans l’arbre ont pu être retracées en analysant les 24 autres échantillons. « Nous nous attendions à un chiffre 10 à 100 fois plus élevé, indique Philippe Reymond, professeur au Département de biologie moléculaire végétale de l’UNIL et coordinateur du projet. Ce résultat, publié dans la revue Nature Plants début décembre 2017, était si surprenant que nous avons dû effectuer un travail bio-informatique de longue haleine pour convaincre nos pairs que nous n’avions pas commis d’erreur dans nos analyses. »
Possibles aléas du temps
Lorsqu’une cellule se divise pour se reproduire, elle copie intégralement son ADN. Or des erreurs peuvent être commises lors de cette opération et introduire des mutations. Ces dernières peuvent également être induites par des facteurs externes comme les radiations UV. « Nous partions ainsi de l’hypothèse qu’un arbre aussi grand et aussi vieux avait accumulé de nombreuses mutations », explique Philippe Reymond.
Chez les végétaux, les cellules souches (potentiellement reproductrices) sont contenues dans des méristèmes – ou bourgeons – apicaux, situés aux extrémités des branches. La division des cellules permet la pousse de l’arbre. En étudiant la croissance de plantes annuelles, un groupe de chercheurs bernois a constaté que certaines cellules souches du méristème apical étaient rapidement mises de côté dans un bourgeon latéral, ne subissant que cinq à sept divisions, soit très peu. Ce sont d’autres cellules qui, continuant à se multiplier, donnent naissance aux tiges. « Comme prédit par nos collègues alémaniques, le chêne de Napoléon semble avoir développé un mécanisme de défense pour empêcher que ses cellules souches ne se divisent trop fréquemment. Il se prémunit ainsi contre l’accumulation de mutations génétiques délétères, indique Philippe Reymond. De plus, le méristème apical est enrobé de multiples couches de feuilles (donnant l’aspect conique du bourgeon), qui le protègent contre les rayons UV. »
Selon Philippe Reymond, ce mécanisme pourrait également s’observer chez d’autres espèces de végétaux, en particulier ceux qui vivent longtemps. « Certaines études scientifiques menées au sujet du nombre de mutations chez les plantes pourraient être revisitées à la lumière de ces résultats et du récent développement de la bio-informatique. »
Projet de science participative
Le projet « Napoleome » a été principalement financé par le rectorat de l'UNIL et a bénéficié du soutien du programme « Agora » du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), qui promeut des projets de communication avec le grand public. De nombreuses rencontres et ateliers ont été organisés par l'Interface sciences-société de l'UNIL pour permettre à chacun de mieux appréhender les différents enjeux actuels de la génomique.
*P. Reymond et C. Hardtke (Département de biologie moléculaire végétale) / A. Reymond et C. Fankhauser (Centre intégratif de génomique) / I. Xenarios (SIB Institut suisse de bio-informatique et Centre intégratif de génomique) / L. Keller, J. Pannell et M. Robinson-Rechavi (Département d’écologie et évolution)