Demeurer dans son habitat d’origine ou aller conquérir de nouveaux territoires : la dispersion des individus est propre à chaque espèce. A la clé, une modification des flux de gènes entre les populations dans le temps et dans l’espace. Un phénomène qui n’est pas sans conséquence sur le comportement des individus allant d’un tempérament conciliant à un caractère franchement agressif. Des chercheurs du Département d’écologie et évolution (DEE) de l’UNIL ont étudié de près l’origine et les conséquences de ces variations d’humeur. Leurs résultats sont à découvrir dans la revue «Nature Ecology & Evolution».
La dispersion, en d’autres termes le fait qu’un individu quitte son habitat d’origine pour aller se reproduire et coloniser un autre territoire, constitue une étape importante dans l’histoire de la plupart des organismes. Au niveau d’une population, le mode de dispersion va déterminer la structure parentale, laquelle détermine à son tour si les individus vont interagir ou entrer en compétition avec leurs congénères. Un facteur qui va influencer l’évolution de comportements sociaux tels que l’aide ou l’agression.
Ce mouvement des individus, dans le temps et l’espace, modifie le flux de gènes entre les populations. La dispersion est un processus important qui influe sur plusieurs phénomènes écologiques et évolutionnaires fondamentaux allant de l’invasion biologique à l’extinction des espèces. Chez beaucoup d'organismes il a notamment été observé que les individus qui «dispersent» ont un comportement social différent des autres. «Par exemple, chez le Merle bleu de l’Ouest, un petit oiseau azur d'Amérique du nord, les individus qui ont tendance à davantage disperser sont également plus agressifs, un phénomène qui a une incidence sur la répartition géographique de cette espèce», explique Charles Mullon, premier assistant dans les groupes des Prof Laurent Keller et Laurent Lehmann au Département d’écologie et évolution de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et premier auteur de l’article paru dans Nature Ecology & Evolution.
Entre générosité et agressivité
Afin de mieux comprendre ce type d'association, les chercheurs lausannois ont modélisé l’évolution de la dispersion et, en concomitance, celle du comportement social en utilisant des mathématiques qui combinent les interactions sociales avec la génétique dans l'espace. «Nous avons, dans un premier temps, découvert que les associations entre dispersion et comportement social peuvent s'expliquer par la sélection dite de parentèle. Un individu qui ne disperse pas aura tendance à interagir avec des individus qui sont proches de lui génétiquement. Afin de favoriser la reproduction des gènes que ces différents individus partagent, mieux vaut alors être plus généreux ou moins agressif», détaille Charles Mullon. «Inversement, les individus qui dispersent auront tendance à interagir avec des individus génétiquement éloignés. La sélection favorise ainsi chez eux des comportements plus égoïstes, comme l'agression». Et phénomène intéressant que relève encore le biologiste : ce genre d'association - dispersion avec égoïsme ou agressivité - se retrouve chez beaucoup d'espèces, allant des organismes unicellulaires jusqu’aux macaques.
Afin de pousser plus loin leurs investigations, les scientifiques ont ensuite cherché à savoir si la sélection qui mène à ces associations pouvait aussi entraîner des changements au niveau du génome. «Lorsque la tendance à disperser et le comportement social sont influencés par des gènes éloignés les uns des autres sur un chromosome, ceux-ci peuvent être redistribués par recombinaison génétique. Nous avons découvert que la sélection va alors favoriser la suppression de la recombinaison afin que les mêmes gènes soient toujours hérités ensemble. Cela permet de s'assurer que les individus qui dispersent demeurent égoïstes et que ceux qui ne dispersent pas demeurent généreux», résume le Prof. Laurent Keller.
Un seul supergène
La suppression de la recombinaison génétique implique que l'on passe d'un système à deux gènes pour deux comportements distincts (dispersion et comportement social), à un système à un seul supergène pour un comportement plus complexe et composite, mêlant dispersion et comportement social. Ces résultats vont dans le sens de recherches récentes menées par les équipes des Profs Laurent Keller et Michel Chapuisat au DEE, qui ont découvert un supergène pour la dispersion et le comportement social chez deux espèces de fourmis (Nature 2014 et Current Biology 2014). Plus généralement, ce type de supergène pour des comportements compliqués se retrouve chez des oiseaux comme le Combattant varié et chez des papillons. «Comme les résultats de notre modèle sont basés sur une structure spatiale et génétique qui est très courante dans la nature, nous nous attendons à découvrir de tels supergènes codant pour des comportements sociaux composites chez un éventail d'espèces beaucoup plus large», conclut Charles Mullon.