Linguiste, Yves Erard a filmé ses propres enfants dans ces premiers mois où la vie s’apprend en même temps que les mots. Un livre raconte ces jeux de langage.
Maître d’enseignement et de recherche et co-directeur du Cours de vacances à la Faculté des lettres, Yves Erard s’apprête à signer chez Payot un livre qui prolonge sa thèse et l’agrémente de 32 vidéos découpées en séquences accessibles via un QR code. Intitulé Des jeux de langage chez l’enfant – Saussure, Wittgenstein, Cavell et la transmission du langage, cet ouvrage paru aux éditions BSN Press propose une plongée à la naissance des mots via le texte, le son et l’image fixe ou vidéo.
On pourra y trouver quantité d’explications savantes, étayées par de nombreuses citations des trois auteurs précités, mais aussi du vécu puisque notre linguiste a filmé chez son petit garçon la relation naissante avec sa jeune sœur, où les mots à peine prononcés disent déjà beaucoup plus que des mots : la notion du danger, la mise en garde, les règles, l’attention portée à autrui. Yves Erard parle de transmission du langage pour souligner « la rencontre entre un adulte et un enfant », le passage entre les générations, ce qui se perd, ce qui se crée, les mots appris qu’il faudra porter comme une chaîne ou une attache affective, qui disent nos relations à autrui et qui évoluent avec elles dans le temps.
Une ethnographie de l’intimité
Ni simple acquisition où l’enfant d’emblée sujet pourrait s’accaparer la culture de l’autre, ni enseignement où l’adulte déverserait sans état d’âme les normes d’hier sur le nouveau venu, la transmission du langage fonctionne comme un héritage social, familial, affectif qui doit permettre à l’enfant de trouver sa voix propre (et sa propre voie). Pour le dire avec Wittgenstein : « Quel étrange phénomène qu’un enfant puisse effectivement apprendre le langage humain ! Qu’un enfant sans savoir quoi que ce soit, puisse commencer et, en suivant un chemin sûr, apprendre cette technique extraordinairement compliquée. » L’enfant entre plus vite qu’on ne croit dans le langage, estime Yves Erard, qui ausculte dans son livre les sons, les approximations, les tentatives, les intentions, les gestes, tout un univers de réciprocité qui se met en place tantôt sous la forme du jeu, de l’imitation ludique, parodique, et tantôt dans le sérieux, l’urgence, voire le cri qui permet d’atteindre à distance.
Qu’en est-il par la suite du langage appris ? « Nous en sommes à la fois victimes et bénéficiaires », rappelle le linguiste, qui insiste sur l’importance du réel, de la relation, de l’attention conjointe pour ajuster ses mots, reformuler, voire s’excuser. Le langage qui nous lie aux autres, dès l’enfance, « continue à nous éduquer tout au long de la vie ». Notre parole qui influencera toutes nos relations si diverses nous restera pourtant étrangère car nous ne sommes pas avec elle et avec nos existences « dans un rapport de connaissance ». Le linguiste pas plus que les autres…
Des jeux de langage chez l’enfant. Saussure, Wittgenstein, Cavell et la transmission du langage. A contrario campus/BSN Press
Signature jeudi 5 octobre de 16h30 à 18h00. Librairie Payot, Lausanne