La FBM présente chaque mois les femmes et les hommes qui font vivre la Faculté. Aujourd’hui, Aude Fauvel, historienne, MER à l’Institut universitaire d’histoire de la médecine et de la santé publique (IUHMSP) depuis février 2014.
Aude Fauvel, pouvez-vous résumer votre parcours?
J’ai un double parcours. J’ai d’abord eu un premier contact avec les sciences humaines et sociales, avec l’obtention de trois Bachelors en sociologie, philosophie et histoire. Ensuite, j’ai obtenu mon diplôme de l’Institut des études politiques de Paris – autrement dit «Science-Po». Il s’agissait cette fois d’un cursus plus tourné vers l’action, avec des cours de droit, d’économie, etc. Cela m’a permis d’être engagée dans un cabinet de conseil en stratégie. Là, je traitais à égalité du positionnement d’un rouge à lèvres et d’une campagne de prévention contre le VIH... Cela m’a posé un problème éthique, avec aussi le sentiment de ne pas aller au fond des choses. C’est pourquoi je me suis réorientée vers la recherche en sciences humaines et sociales: j’ai effectué une thèse d’histoire à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), suivie par des recherches postdoctorales à Oxford, Cambridge puis à l’Institut Max Planck de Berlin, avant d’arriver à Lausanne en 2014.
Pensez-vous que ce double parcours «teinte» votre point de vue d’historienne?
Mon point de départ de chercheuse, c’est de comprendre comment s’organisent les politiques de santé publique. Ce sujet, je ne veux pas le traiter seulement de façon érudite, mais en cherchant des réponses, pour éclairer les professionnels de la santé. Je veux être dans la réflexion, mais aussi dans l’action. C’est ce qui me plaît à Lausanne, à l’IUHMSP, où je trouve à la fois un côté académique avec l’UNIL et un côté très concret avec le CHUV. Je pense qu’il faut travailler le passé pour travailler le présent. C’est mon point de vue d’historienne, mais il n’est pas toujours partagé par les historiens, ni par les médecins d’ailleurs!
Quels sont vos «terrains» de recherche privilégiés?
Je dirais, en général, que je m’intéresse à la construction des savoirs médicaux, et notamment aux vecteurs du changement. Je ne m’intéresse pas tant à l’acteur médecin – les grandes découvertes médicales – qu’aux autres acteurs de la santé, qui font eux aussi évoluer les pratiques. En particulier les patients. Je me suis penchée sur l’histoire de la psychiatrie, et notamment sur la naissance des premiers mouvements de patients au XIXe siècle, en réaction à la généralisation de l’enfermement, des asiles. Ces mouvements ont très largement contribué à faire changer les choses, pour aboutir à la psychiatrie moderne. Ils continuent à être inspirants aujourd’hui, à travers la pratique hors les murs, l’art thérapie, etc. En aparté, c’est pourquoi je m’associe à la démarche visant à faire reconnaître Gheel, la «ville des fous» en Belgique, au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. C’est le premier exemple de «fous en liberté» dans la ville, et il est aujourd’hui menacé.
Votre autre domaine de recherche, ce sont les femmes en médecine…
Tout à fait. Je m’intéresse à la fois à la féminisation de la profession et à la façon dont les biais de genre influencent savoirs et pratiques. Je note d’ailleurs une spécificité suisse: votre pays a été le premier à accueillir des étudiantes en médecine au XIXe, d’abord à Zurich en 1864, puis dans les autres universités helvétiques (en 1887 pour Lausanne). Mais, paradoxalement, la Suisse a été l’un des derniers à leur accorder la possibilité d’exercer… L’explication est assez simple, un bel exemple du pragmatisme helvétique: les premières demandes sont notamment venues de femmes russes, qui avaient les moyens. Pourquoi renoncer à cette manne financière? D’autant que ces femmes devaient quitter le pays dès que leur visa d’étudiante expirait. Bien sûr, cela a donné des idées à des Suissesses, comme Charlotte Olivier. Pourquoi alors leur refuser d’exercer? Craignait-on que les femmes ne deviennent des concurrentes, particulièrement dans des domaines très exposés, comme la gynécologie ou la pédiatrie? A ce stade, ce ne sont que des hypothèses, qu’une thèse que je co-dirige avec Carole Clair contribuera à éclaircir. Mais à la différence des médecins français par exemple, plutôt très conservateurs, il semblerait que les médecins suisses aient très vite reconnu les compétences de leurs homologues féminines.
Vous êtes également impliquée dans plusieurs initiatives culturelles…
Il y a un lien entre l’art et la folie. Ce qui ne devrait pas vous étonner, nous sommes dans la patrie de l’art brut après tout! Beaucoup de patients s’expriment via le médium artistique, et quand on s’intéresse aux mouvements des patients au XIXe, on tombe immanquablement sur des artistes. Je suis régulièrement contactée par des associations de patients, des médecins, des galeries en ce sens. J’ajoute qu’il y a une grande ouverture au CHUV pour des initiatives culturelles. Je suis en outre co-présidente, avec le professeur Patrick Bodenmann, de la Commission Dialogue Santé et Société du DUMSC. Après, c’est aussi une question d’intérêt personnel: par exemple, j’organise en décembre prochain une rétrospective Mae West, une actrice hollywoodienne des années 30, à la Cinémathèque de Grenoble. C’était à la fois un sex symbol et une femme de théâtre, qui écrivait ses propres textes, avec des vues féministes, dérangeantes pour l’époque, sur la sexualité des femmes. Au départ, je me suis lancée là-dedans parce que j’aimais cette actrice. Puis je me suis rendue compte qu’il y avait un lien avec la médecine: les vues non-conventionnelles qu’elle défendait participaient aussi d’un contre-discours médical. C’était une bonne surprise!