La FBM présente chaque mois les femmes et les hommes qui font vivre la Faculté. Aujourd’hui, Nathalie Wenger, cheffe de clinique au Service de médecine interne du CHUV, et première auteure d’une étude sur l’emploi du temps des médecins assistants, publiée en janvier 2017 dans la revue «Annals of Internal Medicine».
Nathalie Wenger, pouvez-vous nous résumer votre parcours?
J’ai effectué mes études à l’UNIL, puis ma spécialisation en médecine interne dans divers hôpitaux en Suisse romande et enfin au CHUV. J’ai occupé mon premier poste de cheffe de clinique à l’Hôpital de Morges, avant de revenir au CHUV en 2014. Si j’ai opté pour la médecine interne, c’est parce que je m’intéresse avant tout à la prise en charge globale du patient. Je vais également entreprendre une formation complémentaire en médecine du sport, car j’en fais moi-même beaucoup !
Vous venez de publier, comme première auteure, une étude dans Annals of Internal Medicine: quelle en a été la genèse?
Le projet a vu le jour fin 2014 dans le Service de médecine interne. Il s’agissait de mesurer le temps qu’un médecin assistant dédiait à chaque activité durant sa journée de travail, et spécialement le temps passé avec ses patients comparé à celui passé devant un ordinateur. Les questions d’organisation m’ont toujours intéressée, c’est pourquoi je me suis jointe au groupe de travail. En termes de méthodologie, nous avons formé des étudiants en médecine pour suivre les médecins assistants et consigner chacune de leurs activités sur une application iPad spécialement conçue à l’interne pour l’étude. Au total, nous avons enregistré 696,7 heures, entre les mois de mai et juillet 2015. A noter que le design de notre étude s’inspire de travaux similaires réalisés aux Etats-Unis notamment. Mais c’est la seule étude du genre réalisée en Europe. En termes d’échelle, c’est aussi une des plus grandes, si ce n’est la plus grande étude jamais réalisée dans le monde.
Quels en sont les principaux résultats?
Sans surprise, nous avons constaté que les médecins assistants travaillaient plus que prévu, soit 11,6 heures par jours – 1,6 heure de plus que planifié. Ensuite, nous avons observé qu’ils passaient environ 1,7 heures avec leurs patients, 5,2 heures derrière un ordinateur et 13 minutes en faisant les deux à la fois. Cela représente trois fois plus de temps avec l’ordinateur qu’avec le patient. Ces chiffres peuvent étonner, voire choquer, mais il faut bien comprendre que notre objectif était de prendre une «photo» de la réalité, d’objectiver un ressenti en quelque sorte. Avec cette étude, nous ne cherchons pas à juger, à dire ce qui est bien ou mal, juste montrer ce qu’il se passe dans un grand hôpital suisse aujourd’hui.
Ces chiffres sont de toute façon à nuancer…
Tout à fait. Tout d’abord, notre métier change: la médecine se spécialise et se complexifie, il y a beaucoup plus d’intervenants pour la prise en charge qu’auparavant. L’informatique est de plus en plus présente, notamment à travers le dossier informatisé du patient. Et les progrès de la médecine ont un impact sur la démographie: les gens vivent plus longtemps, ils ont une histoire médicale plus longue, plus détaillée, plus complexe. Bref, il y a de plus en plus de données, que l’informatique nous aide à gérer, trier, synthétiser. Nous en avons besoin. Par ailleurs, si on prend des études similaires réalisées dans les années 60, les médecins ne passaient pas forcément plus de temps avec leurs patients. Certes, il y avait moins de données, mais il leur fallait plus se déplacer, monter ou descendre en radiologie pour chercher des clichés, coller des électrocardiogrammes sur des fiches, faire des trous pour les ranger dans un classeur, etc. Toutes sortes de petites tâches que l’informatisation, l’automatisation ont permis de supprimer. En moyenne, dans notre étude, un médecin assistant passe 15 minutes par jour avec chaque patient, ce qui est au final comparable avec le temps que leur consacre un généraliste.
Ces résultats ont-ils conduit à des changements au CHUV?
Oui, sur la base de ces observations, nous avons mis en place une série d’améliorations. Tout d’abord, il nous semblait important qu’un médecin se consacre d’abord au métier pour lequel il a été formé, qu’on valorise sa «plus-value» de médecin. C’est pourquoi des secrétaires, dites «assistantes de médecin», ont été introduites dans notre service: les médecins assistants peuvent leur déléguer les tâches purement administratives. Deuxièmement, nous travaillons avec les informaticiens à améliorer l’ergonomie des différents outils informatiques. Troisièmement, nous avons mis au point un groupe de travail pour réorganiser complètement la journée d’un médecin. Car un de nos gros problèmes, comme le montre une étude publiée en février 2017 dans PLOS ONE par ma collègue Marie Méan, c’est le «task-switching»: les médecins assistants sont constamment interrompus. L’objectif de ces différentes mesures est qu’il y ait plus de temps alloué directement au patient, mais surtout plus de temps dédié à la réflexion pour le médecin: face à des dossiers complexes, il est important de pouvoir confronter certaines données, certains problèmes, et d’en discuter avec sa hiérarchie et ses collègues.