Début avril, deux doctorants de l’UNIL ont arpenté le glacier d’Otemma, au sud-ouest du Valais. Ils s’intéressent aux réseaux de canaux qui serpentent sous sa surface, ainsi qu’aux sédiments que ses eaux transportent en contrebas.
L’un des bons côtés de la recherche en sciences de la Terre, c’est qu’elle se déroule parfois au grand air, des skis aux pieds et dans un paysage alpin grandiose. Ainsi, entre le 4 et le 7 avril 2017, Gilles Antoniazza et Pascal Egli, doctorants à l’Institut des dynamiques de la surface terrestre (IDYST), ont crapahuté sur le glacier valaisan d’Otemma (Haut Val de Bagnes).
Dans ses profondeurs, de l’eau coule à travers un réseau invisible de canaux, à l’intérieur duquel des matériaux rocheux sont transportés. Ce phénomène intéresse les chercheurs de l’UNIL, qui viennent de commencer leurs thèses – distinctes par le sujet mais en partie communes par le lieu - sous la direction du professeur Stuart Lane.
Randonnée scientifique
Le glacier d’Otemma est difficile d’accès en hiver (voir la carte ci-dessous). Sportifs et très à l’aise en montagne, les doctorants sont partis d’Arolla à ski (1), avant de s’encorder pour passer par le col des Vignettes (3160 m) et de parvenir sur la partie supérieure du géant blanc, sa «zone d’accumulation» (2). C’est là que les précipitations de neige se transforment en glace et alimentent donc le glacier. «Son épaisseur atteint 280 mètres», indique Pascal Egli.
Les doctorants ont ensuite effectué une longue descente de près de 7 kilomètres vers le front glaciaire (la «zone d’ablation», où la fonte est la plus importante). Ce dernier est situé à 2500 m (3). Là, patiemment, le long de lignes perpendiculaires à l’écoulement du glacier (ou sections transversales) et distribuées sur toute la surface de la langue, ils ont récolté les informations fournies par un géoradar. Cet appareil, qui fait partie des 30 kg de matériel trimballé par les sherpas de l’UNIL, envoie des ondes vers le sol. à Chaque fois qu’elles rencontrent un milieu différent, une fraction d’entre elles «ricoche» vers la surface, où se trouve une antenne. L’analyse de ce signal de retour permet «de voir facilement l’interface entre le lit rocher au fond, et le glacier. Mais c’est moins simple pour les canaux et fissures sous-glaciaires, qui peuvent être petits», explique Pascal Egli. En fin d’hiver, ces derniers contiennent encore peu d’eau, ce qui améliore la qualité des données recueillies.
Lignes de mesures avec le Ground Penetrating Radar (géoradar), vue direction sud. Photo Pascal Egli.
De l’eau dans les chenaux
Exploratoire, cette première visite à Otemma a duré quatre jours, pendant lesquels les deux collègues ont logé à la cabane de Chanrion (2462 m), soit à une heure en peau de phoque... Leur expédition anticipe une campagne plus ambitieuse de récolte d’informations, prévue pour l’été 2017. «Grâce à elles, j’espère pouvoir modéliser les chenaux sous-glaciaires», note Pascal Egli. Décrits par la théorie dans différents modèles, ceux-ci possèdent leur dynamique propre, à la fois quotidienne et saisonnière. Grâce à la chaleur du jour, l’eau y circule dès le matin. Elle remplit les canaux – qui sont parfois carrément sous pression ! - jusqu’à un pic dans l’après-midi, avant de retrouver le calme une fois le soir venu.
Afin d’en apprendre encore davantage, le doctorant souhaite profiter de la belle saison pour faire un peu... de spéléologie. En effet, des moulins (soit des puits taillés par les eaux de fonte) se forment alors, ce qui donne accès au cœur du glacier. L’occasion de valider les structures mises en lumière par le géoradar et de déterminer la géométrie exacte et la rugosité des chenaux. En parallèle, ils souhaitent installer trois stations météorologiques sur le glacier, à différentes altitudes. Le but ? «Obtenir des données sur l’influence des précipitations et de la température de l’air sur le système sous-glaciaire.» Il est possible que ce réseau hydrologique évolue au fil des mois. En hiver, il serait bien distribué et développé, avec des chenaux quasiment inexistants. Puis, avec la hausse de la température, des canaux de plus en plus grands et moins dispersés se développeraient. Ce qui rendrait le transport des sédiments plus efficace.
Du sable, des cailloux, un barrage
Sa remarque mène aux recherches de Gilles Antoniazza. L‘eau qui traverse le glacier contient des sédiments en suspension. A sa base, il charrie des cailloux vers l’aval. A l’extrémité de la langue, ce matériel se dépose dans une zone assez plate et sablonneuse, le «domaine proglaciaire» (4). Le liquide s’y écoule en de multiples chenaux tressés, avant de couler en un flot dans la pente. Enfin, elle «atteint une prise d’eau (captage) des Forces motrices de Mauvoisin (FMM) (5), précise le doctorant. Celle-ci redirige le flux en direction du lac de retenue du barrage (6), par un tunnel.»
Prise d'eau des Forces motrices de Mauvoisin. Photo Pascal Egli.
Dans le cadre de sa thèse, Gilles Antoniazza s’intéresse à la morphologie du domaine proglaciaire. Il prévoit notamment d’utiliser un drone pour quantifier l’érosion, le dépôt et le transport de sédiment vers l’aval, entre le front du glacier et la prise d’eau des FMM.
Erosion
Pour y parvenir, une meilleure compréhension des canaux sous-glaciaires est bien sûr importante. Mais d’autres facteurs entrent en jeu. En se retirant depuis le milieu du XIXe siècle, le glacier tend à libérer de son lit et des versants des volumes de matériaux instables toujours plus importants. «Dès que le soleil se lève, des blocs tombent dans le lit du torrent, surtout sur la moraine exposée au sud (7)», note le scientifique.
La quantification de cette érosion devrait être confiée à un étudiant de master de l’UNIL, Davide Mancini, équipé d’un Lidar. Grâce à son faisceau laser, cet appareil mesure précisément la distance qui le sépare d'un objet, en se basant sur le temps infime que met la lumière à atteindre l'obstacle visé et à revenir. En quelques minutes, des milliers de points sont ainsi déterminés par leurs coordonnées dans l’espace. Si cette opération est répétée plusieurs fois, une comparaison des cartographies obtenues donne une idée précise des volumes rocheux qui sont tombés entre deux mesures.
Les travaux de Gilles Antoniazza comportent un autre intérêt, qui touche aux installations hydrauliques de la FMM situées en contrebas du glacier, à 2357 m. Grâce à un système de filtres et de grilles, le liquide est séparé des sédiments et la prise d’eau est purgée quotidiennement de manière automatique afin de se débarrasser de la charge solide. Une partie de l’eau de fonte du glacier est donc sacrifiée pour convoyer cette matière en contrebas, ce qui constitue une perte pour le barrage. « Une modélisation du volume de sédiments transportés et de son évolution dans le temps pourrait être utile à l’entreprise, afin de leur permettre d’optimiser leur gestion de l’eau et des sédiments», remarque le chercheur. Des travaux qui pourraient être extrapolés et être employées sur d’autres sites.
La récolte d’informations ne s’arrête pas là. Une étudiante de bachelor de l’UNIL, Céline Cardot, mène un travail sur les images aériennes du glacier, des clichés que Swisstopo (administration fédérale) a collecté depuis un demi-siècle. Le recul d’Otemma y apparaît clairement. Les chercheurs espèrent notamment en tirer une estimation des volumes de glace qui ont fondu.
Même si elles n’en sont qu’à leur phase préparatoire, les recherches menées par Gilles Antoniazza et Pascal Egli démontrent aux profanes qu’un glacier possède une dynamique interne importante et saisonnière. Afin de toucher du doigt ces phénomènes, les curieux et les plus motivés peuvent accéder à la prise d’eau des FMM en été, depuis le barrage de Mauvoisin, en longeant le lac. Une randonnée de près de 25 km aller-retour, avec 1000 bons mètres de dénivelé. Les paysages splendides de la région n’en constituent pas la moindre des récompenses.
A proximité du col des Vignettes (3000 m), vue sur le glacier d'Otemma en direction du sud-ouest. Photo Pascal Egli.