Une classe de canaux ioniques de notre système nerveux, sensible à l’acide, joue un rôle-clé dans la sensation de peur et de douleur ainsi que dans la génération de la mémoire. L’équipe du DrSc. Stephan Kellenberger du Département de pharmacologie et de toxicologie de l’UNIL, en collaboration avec des chercheurs de l’Université de Bâle, a étudié les mécanismes à l’origine de l’ouverture de ces canaux qui est contrôlée par l’acide. Leurs travaux sont à découvrir dans la revue «Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS)».
L’acidité, autrement dit la concentration en protons, est étroitement régulée dans les tissus et les liquides de notre organisme. Dans certaines situations physiologiques ou pathologiques, cette concentration peut dévier de sa valeur normale. L’acidité peut, par exemple, être augmentée en cas d’ischémie, d’inflammation ainsi que très localement lors de l’activité neuronale.
Des protéines qui détectent l’acidité
Plusieurs protéines «senseurs d’acidité» existent, parmi lesquelles une classe de protéines transmembranaires appelée «acid-sensing ion channels (ASICs)» pour «canaux sensibles à l’acide» qui est majoritairement présente dans les neurones. «Suite à une augmentation de l’acidité, les protéines ASICs permettent l’entrée d’ions sodium dans les cellules, ce qui peut engendrer une activation des neurones. De par leur distribution dans le système nerveux, les ASICs sont impliquées dans la sensation de peur et de douleur ainsi que dans la génération de la mémoire. Elles peuvent également contribuer à la mort neuronale après une attaque cérébrale», détaille le DrSc. Stephan Kellenberger, PD & MER1 au Département de pharmacologie et de toxicologie de l’UNIL et directeur de l’étude parue dans la revue PNAS.
Les mécanismes par lesquels l’acidité active les canaux ASICs ne sont pas connus. Il a été proposé qu’une région du canal ASIC, appelée «poche acide», constitue un site important pour la liaison des protons. L’importance de cette «poche acide» est soulignée par le fait que plusieurs toxines animales, qui influencent l’activité des ASICs, se lient à cet endroit.
Le rôle de la poche acide a été élucidé dans les travaux publiés dans la revue PNAS. «Nous avons analysé la fonction de canaux ASIC modifiés, dans lesquels les sites potentiels de liaison de protons dans la poche acide ont été supprimés», explique Sabrina Vullo, doctorante au Département de pharmacologie et de toxicologie de l’UNIL et première auteure de l’étude parue dans PNAS. «Nous avons ainsi pu conclure que la poche acide régule la façon dont la concentration de protons contrôle l’activité des ASICs».
Une modélisation informatique a ensuite permis de décrire le mécanisme de cette régulation. Les chercheurs ont investigué des changements de conformation grâce à des paires de «rapporteurs de distance» placées à différents endroits bien précis dans la poche acide. Pour chaque paire, une mesure du signal de fluorescence a permis d’indiquer si les deux partenaires se rapprochaient ou s’éloignaient l’un de l’autre pendant l’activité des canaux ASICs. L’analyse des signaux de fluorescence de plusieurs paires de «rapporteurs de distance» suggère une séquence de mouvements de la poche acide à l’échelle moléculaire qui participe à l’ouverture et à la fermeture du canal ASIC.
Une nouvelle cible potentielle pour combattre peur et douleur
En établissant le rôle de la poche acide comme régulateur de l’activité des canaux ASICs, les chercheurs ont mis en évidence une cible potentielle pour de futurs médicaments anxiolytiques, analgésiques ou des thérapies visant à limiter les dégâts après une attaque cérébrale. «La modélisation des mouvements de la poche acide pendant le cycle d’activité d’un canal ASIC ouvre la voie à de nouvelles pistes thérapeutiques», conclut le DrSc. Stephan Kellenberger.