Le récent volume des "Cahiers de L’Herne" consacré à Michel Houellebecq propose quatre contributions de chercheurs de l’institution lausannoise.
« Il faudrait que je meure ou que j’aille à la plage ». Ce vers de Michel Houellebecq, tiré de Sens du combat (1996), rappelle aux distraits que l’auteur de Soumission est poète. Tout à tour lucide, désespérant et touchant, l’écrivain est au coeur d’un volume récent des Cahiers de L’Herne. Une foule de contributeurs, d’Iggy Pop à Yasmina Reza en passant par les défunts Philippe Muray ou Bernard Maris, livrent leur éclairage.
Parmi eux, quatre chercheurs de la Faculté des Lettres : Marc Atallah, Raphaël Baroni, Samuel Estier et Gaspard Turin. Cette présence s’inscrit dans la continuité d’un colloque, qui s’est tenu en mars 2016 à l’UNIL. Agathe Novak-Lechevalier, directrice de ce Cahier de L’Herne et Maître de conférence à Paris X Nanterre, a participé à cet évènement, qui, selon elle, « a montré l'extraordinaire capacité des chercheurs en littérature à l'Université de Lausanne à se confronter à cette oeuvre, même lorsqu'elle ne relevait pas de leur domaine de prédilection initial - il y avait là une sorte de "démonstration de force" tout à fait impressionnante ».
Houellebecq on tour
Sous le titre Présence humaine ou l’envers du roman, Gaspard Turin traite du disque oublié que Bertrand Burgalat et Michel Houellebecq ont sorti en 2000. Pour le maître assistant en Section de français, « à son écoute, les lecteurs ont dû être désemparés, tant ses chansons sont différentes de ses romans. » Il y a de quoi : sur des musiques érudites et de haut vol, qui vont de l’indie-rock au slow en passant par l’electro, Michel Houellebecq scande ses poèmes à la manière d’un « rap mou ». L’auteur a plusieurs fois signalé qu’il aurait préféré avoir un véritable chanteur pour ses textes, plutôt que sa propre voix ! Une tournée a eu lieu, avec une date à Paléo. Cette aventure s’est d’ailleurs assez mal terminée.
C’est justement « cette face cachée » de l’oeuvre qui intéresse Gaspard Turin. L’album est le fruit d’une collaboration, alors que les romans n’ont qu’un seul auteur. De plus, ce CD a été « lâché dans la nature à peu près sans promotion et, depuis, il vit sa vie de manière souterraine. Presque personne n’en a parlé, même pour en dire du mal. » Cette déprise navigue aux antipodes des romans, dont l’existence est organisée selon une procédure bien huilée : polémique prévue à laquelle le livre répond par anticipation, attention (et détestation) médiatique prévisible, ventes importantes, au suivant.
Sur le plan artistique, « ce disque est une bonne manière d’entrer dans la poésie de Houellebecq », note Gaspard Turin. Les vers s’amusent avec la collision du lyrisme et du banal. Dans le slow Plein été, qui raconte un début de journée de vacances à Palavas, « Nul bruit à l'horizon, nul cri dans les nuages » côtoie « Sur la plage on retrouve, quelques préservatifs ».
Dandy
Dans le cas de cette chanson, la superficialité du texte s’appuie sur « une musique de dandy, donc très nihiliste, ajoute le chercheur de l’UNIL. Michel Houellebecq est un idéaliste profondément déçu. Sa révolte, assez grunge en fait, a déterminé une partie de sa carrière. » Bien souvent dans son oeuvre, les bulles de bonheur collent de près leur destruction. Ainsi, le prémonitoire roman Plateforme (2001) se termine par un attentat islamiste qui pulvérise une histoire d’amour.
En parallèle, les compositions de Bertrand Burgalat « jouent avec les codes ». Traditionnellement, le rock symbolise la vitalité et l’adolescence. Mais dans ce cas, « il est délétère et propose le déclin, ajoute Gaspard Turin. Cela me fait penser au Velvet Underground, ou aux Ramones. » Inclassable, déroutant, Présence humaine a été réédité par Tricatel - en vinyl notamment – l’année passée.