La FBM présente chaque mois les femmes et les hommes qui font vivre la Faculté. Aujourd’hui, Luca Fumagalli, maître d’enseignement et de recherche au Département d’écologie et évolution (DEE), où il dirige le Laboratoire de biologie de la conservation (LBC), ainsi qu’à l’Unité de génétique forensique du Centre universitaire romand de médecine légale (CURML).
Luca Fumagalli, pouvez-vous résumer votre parcours?
Après des études de biologie à Lausanne et à Genève, j’ai effectué ma thèse à Lausanne dans le domaine de la génétique des populations. C’est là que j’ai mis en place sur le campus de Dorigny la technique d’amplification et de séquençage direct de l’ADN, à l’époque où la PCR[1] commençait à se démocratiser – il y avait seulement deux appareils à Lausanne, j’en avais un des deux! J’ai ensuite passé 18 mois de post-doc en Australie, à l’Université du Queensland. Là, je me suis spécialisé en génétique de la conservation, en appliquant les méthodes de la génétique des populations aux espèces menacées d'extinction. En 1999, j’ai mis sur pied à l’UNIL le Laboratoire de biologie de la conservation, avec l’idée d’en faire une passerelle entre la recherche fondamentale et les gestionnaires de l’environnement hors de l’université.
Pouvez-vous nous parler de vos méthodes?
Au LBC, nous travaillons essentiellement avec des méthodes génétiques non invasives, consistant à utiliser comme source d'ADN les échantillons biologiques – crottes, poils, plumes, salive – que les animaux laissent sur leur passage. C’est non invasif, parce qu’il n’est pas nécessaire de capturer ni même d'observer l’animal, ce qui est extrêmement pratique. Et c’est parfois la seule façon de procéder, comme pour cette étude que nous avons menée sur les hippopotames en Afrique: c’est un animal dangereux, très difficile à approcher. Le problème avec cette façon de faire, c’est que l’on trouve très peu d’ADN, souvent de l’ordre du picogramme. Et de plus, il est dégradé, ce qui rend les choses beaucoup plus compliquées qu’avec une analyse conventionnelle, à partir d’un échantillon sanguin par exemple. Nous devons éviter toute contamination en sécurisant notre labo. Et la faible quantité d’ADN nous impose de répéter plusieurs fois les analyses. C’est donc long et contraignant.
Vous avez beaucoup travaillé sur le loup notamment…
Oui, sur mandat de l’Office fédéral de l’environnement. Grâce à nos outils, nous avons été capables d’établir les profils ADN individuels de près d'une centaine de loups en Suisse depuis une bonne quinzaine d'années, ce qui nous permet de suivre leurs déplacements et l’évolution de la population. Nous intervenons également en cas d’attaques de bétail. A l’aide de la salive récoltée autour des blessures, nous pouvons dire s’il s’agit bien d’un loup (il peut s’agir d’un chien), ou si le même individu est l’auteur de plusieurs attaques. C’est un dossier économique avec la problématique des compensations, mais aussi très politique et médiatique. Ce n’est pas toujours facile à gérer, car cette espèce dont le retour est naturel souffre d’une mauvaise réputation et est au centre d'un débat passionnel. Je dois composer avec des groupes de pression, faire attention à ce que je dis dans la presse. Cela me fait beaucoup de publicité, alors que le loup n’est – de loin! – pas mon seul objet d’étude.
Au contraire, vous avez même un champ d’investigation très étendu…
Tout à fait. Nous travaillons aussi sur d'autres espèces de vertébrés: des oiseaux, des poissons, l’ours, la loutre - un mammifère qui fait son retour en Suisse, nous en avons identifié une en décembre au Tessin. Nous avons surtout des mandats en Suisse, mais aussi à l’étranger, comme en Autriche ou en Allemagne. C’est la force du LBC: c’est un des seuls labos «universels» au monde, en mesure de proposer des solutions «à la carte». En effet, la plupart des labos analogues sont spécialisés dans une seule espèce animale, le loup, l’ours, etc. Et nous avons aussi une large palette d’outils: pour une récente étude visant à détecter la présence en Europe d’espèces invasives de moustiques vecteurs de maladies, notamment le moustique tigre, nous avons procédé par une analyse d’ADN environnemental. Dans ce cas, on prélève un échantillon d’eau: on va y trouver un mélange d’ADN de différentes origines, sous forme de traces que nous allons identifier.
Vous ne vous occupez pas que d’animaux, mais aussi de plantes…
En effet. Parmi nos projets de recherche fondamentale, nous étudions d'un point de vue génomique l’histoire évolutive du chanvre, c’est-à-dire le cannabis, l’histoire de sa domestication, de sa sélection. C’est une espèce totalement sous-étudiée du point de vue de la biologie de l’évolution, alors même que c’est une des premières que l’homme a cultivée. La raison en est simple: interdite un peu partout, elle a été quasi exclusivement étudiée sous l’angle biochimique ou pharmacologique, du THC (la substance avec des propriétés psychoactives). Or il y a aujourd’hui un regain d’intérêt industriel pour le chanvre. Sa culture est très bon marché, il demande peu d’eau, peu d’entretien – les Anglo-saxons la surnomme weed, «mauvaise herbe», ce n’est pas pour rien! Au-delà de ses importantes applications thérapeutiques, il a des propriétés d’isolation, des applications dans les équipements automobiles, dans le textile… D’où l’intérêt au préalable d’établir une base de données génétique, que nous venons de publier – près de 1’500 plantes de différentes origines – pour différencier les plantes sélectionnées pour la fibre de celles sélectionnées pour leur haute teneur en THC.
En quoi consiste votre activité plus proprement forensique, notamment dans le cadre du CURML?
Nous intervenons par exemple dans les cas de trafics illégaux d'espèces, de braconnage. A cet égard, nous collaborons régulièrement avec la CITES, qui est une convention internationale visant à réguler le commerce des espèces menacées d’extinction. On nous sollicite aussi pour des cas d'identification d'espèces ou d'individus lors d'une affaire judiciaire, de violences sur animaux, de morsures de chien. Dans le cadre d’une enquête pénale, il s’agira par exemple de confirmer que le chien suspect est bien l’auteur de la morsure, en comparant son profil ADN (déterminé à partir d'un frottis buccal) avec celui retrouvé sur les habits de la victime: dans ce cas, on applique les outils de la génétique forensique humaine chez l’animal. Mais dans l’ensemble, je dirais qu’il y a une perméabilité totale entre mes activités, la recherche fondamentale et son application en conservation et forensique, les différentes parties s’alimentant les unes avec les autres.
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[1] Amplification en chaîne par polymérase (PCR étant l’abréviation de «polymerase chain reaction»): en biologie moléculaire, méthode d'amplification génique in vitro, qui permet de multiplier de façon ciblée et en grand nombre une séquence d'ADN ou d'ARN, à partir d'une faible quantité de départ d'acide nucléique.