Les rongeurs dorment par tranches de quelques minutes, alors que les humains peuvent dormir des heures. Quels sont les besoins universels de sommeil au vu d’une telle variabilité? Et comment concilier sommeil réparateur et état d’alerte? Anita Lüthi, professeure associée au Département des neurosciences fondamentales de l’UNIL et son équipe offrent un nouvel éclairage sur les mécanismes complexes du sommeil. Leurs résultats sont à découvrir dans l’étude publiée le 8 février 2017 dans la revue «Science Advances».
Concilier effets bénéfiques et réactivité sensorielle
Pour les mammifères, le sommeil constitue un pilier du bien-être tant mental que physique. Afin d’être bénéfique, le sommeil doit être suffisamment long et doté d’une continuité physiologique. Mais il doit aussi revêtir un certain degré de fragilité afin que l’organisme endormi puisse faire face à des stimuli externes et à des menaces potentielles.
«Quand vous allez dormir sachant qu’une grosse journée vous attend le lendemain, vous espérez avoir un sommeil réparateur. Mais en même temps, votre corps doit pouvoir garder un certain état d’alerte», explique Anita Lüthi, professeure associée au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et directrice de l’étude parue dans le journal Science Advances. «A ce jour, il n’est pas encore clair comment le sommeil est capable d’équilibrer les besoins opposés et fondamentaux que sont la récupération et la consolidation de la mémoire (continuité), et le maintien d’une réactivité sensorielle à l’environnement (fragilité)».
Le sommeil «switch» toutes les 25 secondes
C’est précisément cette question que les scientifiques lausannois ont adressée dans leur nouvelle recherche. Pour ce faire, ils ont mesuré les activités neuronale et cardiaque chez la souris endormie. En collaboration avec le Prof. Jan Born de l’Université de Tübingen, en Allemagne, et son étudiant en thèse Frederik D. Weber, ils ont pris les mêmes mesures chez l’homme pendant le sommeil. Ils ont ainsi pu mettre en évidence un moyen de contrôle du sommeil jusqu’alors inconnu qui permet d’équilibrer les besoins opposés de continuité et fragilité.
«Nous avons découvert que le sommeil passait d’un état à l’autre toutes les 25 secondes environ et que ce laps de temps était déterminé par un rythme spécifique du cerveau qui oscille en harmonie avec le rythme cardiaque», détaillent Sandro Lecci, étudiant en thèse, et la DreSc. Laura Fernandez, les deux premiers auteurs de l’étude. Ces résultats sont valables aussi bien pour les rongeurs que pour l’homme. Sur 25 secondes, le cerveau et le cœur se préparent ensemble à un éventuel éveil, puis sur de nouveau 25 secondes ils s’engagent dans un sommeil bénéfique pour la récupération et la mémoire. Cela constitue alors des cycles de 50 secondes répétés tout au long du sommeil. «A titre d’exemple, si vous êtes dans une phase de sommeil continu et que votre chat saute sur votre lit, vous demeurerez imperturbable. En revanche, si le chat atterrit sur votre oreiller quelques secondes plus tard alors que vous êtes passé dans une phase de sommeil fragile, vous allez vous réveiller», exemplifient les chercheurs.
Vers de nouveaux traitements des troubles du sommeil
Grâce à leurs travaux qui démontrent que notre sommeil varie d’un instant à l’autre en passant d’un état de continuité à un état de fragilité, les neuroscientifiques ouvrent la voie à de nouvelles pistes thérapeutiques : «Avec nos recherches, nous visons à mieux comprendre les mécanismes neuronaux qui rendent le sommeil fragile et espérons ainsi pouvoir potentiellement offrir de nouvelles solutions diagnostiques et thérapeutiques aux patients souffrant de troubles du sommeil», projette Anita Lüthi. «Comprendre pourquoi et comment un mauvais sommeil peut avoir un impact négatif sur notre cœur et être à l’origine de maladies cardiovasculaires constitue un autre axe fort de nos recherches à venir».
Légende: Rythmes cérébral et cardiaque qui divisent le sommeil en période «fragile» et «continue», dont chacune dure 25 secondes. Les deux rythmes sont en phases opposées, avec un rythme cardiaque qui accélère pendant la période fragile, alors que l’intensité du rythme cérébral augmente pendant la période continue (copyright © DNF – UNIL)