Le groupe de recherche du Prof. Niko Geldner, au Département de biologie moléculaire végétale de l’UNIL, a mis en évidence l’importance de deux petites molécules dans l’étanchéité des racines de plante. Une découverte qui pourrait trouver des applications potentielles dans l’agriculture, en rendant des espèces comme le riz, le blé ou la tomate plus résistantes à la sécheresse ou aux maladies, tout en réduisant l’apport en engrais ou pesticides. Les résultats sont à découvrir dans l’édition du 20 janvier 2017 de la revue «Science».
L'endoderme, un filtre naturel
Les racines jouent un rôle fondamental dans l’apport en nutriments et en eau des plantes. Elles doivent également être en mesure de protéger la plante contre la multitude de microorganismes présents dans le sol, les éléments toxiques ainsi que la sécheresse.
Pour ce faire, les plantes supérieures ont développé à l'intérieur de leurs racines une couche de cellules imperméables appelée endoderme. «En entourant la nervure centrale de la racine, l'endoderme confère aux racines de plantes leur étanchéité; il bloque l'entrée libre au niveau de la racine et permet à cette dernière d'agir comme un filtre sélectif, laissant passer les éléments nutritifs dont la plante a besoin tout en bloquant les substances dont elle peut se passer ou qui peuvent être toxiques», explique Niko Geldner, professeur associé au Département de biologie moléculaire végétale de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et directeur de l’étude parue dans la revue Science.
La plante peut jouer sur son degré d’étanchéité
L’équipe lausannoise utilise pour modèle végétal l'Arabette des dames, Arabidopsis thaliana. Dans de précédents travaux, elle a démontré que pour bien faire leur travail, les cellules endodermiques traversent deux phases de vie, passant par deux états de différenciation.
Dans une première phase, les cellules endodermiques sécrètent un polymère imperméable semblable au bois appelé lignine, qui se présente sous la forme d’anneaux fins et va constituer la base des Cadres de Caspary (Nature, mai 2011). Comparables à des micro-filets, ces fins treillis imperméables entourent la nervure centrale de la racine et participent non seulement au transit de l'eau, mais aident aussi au filtrage des nutriments tout en protégeant la plante contre les pathogènes.
Dans une seconde phase, plus mature, les cellules endodermiques déposent à l’intérieur de la racine un autre polymère imperméable, la subérine, une substance cireuse qui s’apparente au liège. En recouvrant toute la surface de la racine, la subérine engendre une résistance accrue, mais aussi une diminution de la capacité à absorber les nutriments et l'eau (Cell, janvier 2016).
Comment la racine s'assure-t-elle que tout est bien scellé?
La découverte de mutants dans la plante modèle Arabidopsis thaliana qui présentaient une barrière endodermique altérée avec des trous irréguliers dans les cadres de Caspary a amené les chercheurs à émettre l’hypothèse qu'un petit peptide encore inconnu devait constituer le signal important qui aide la plante à former sa barrière protectrice. Une hypothèse qui s’est confirmée avec les travaux publiés aujourd’hui dans la revue Science et réalisés en collaboration avec l’équipe du Dr Youssef Belkhadir de l’Institut Gregor Mendel, à Vienne.
«Ce ne sont pas un mais deux peptides qui ont été identifiés et jouent un rôle-clé dans la formation de la barrière protectrice», se réjouit Niko Geldner. Baptisés CIF1 et CIF2 pour «Casparian strip Integrity Factors», ils régulent la formation à la fois de lignine et de subérine dans l'endoderme. De manière surprenante, ces peptides ne sont pas produits dans l'endoderme lui-même, mais dans les cellules de la nervure centrale de la racine. «C'est un peu comme si les cellules de la nervure centrale utilisaient le peptide pour ‘dire’ à l'endoderme de produire son joint protecteur. En fait, ces peptides sont une sorte de voie de communication de quartier!», poursuit le biologiste.
Par ailleurs, ces peptides, bien que suffisamment petits pour se déplacer entre les cellules, sont eux-mêmes bloqués par le réseau de cadres de Caspary; ils agissent ainsi comme de petits «inspecteurs de barrière» qui donnent l’alarme s'ils parviennent à sortir, même s’il n’y a qu’un petit trou quelque part. Une cascade de signalisation est alors déclenchée à l'intérieur de la cellule, afin que soient produites et déposées des quantités accrues de lignine et de subérine, garantissant ainsi que l'endoderme sera bien scellé.
Réduire les pertes de récolte ainsi que l’apport en engrais et pesticides
Ces peptides ont été conservés au cours de l’évolution dans des espèces végétales d'intérêt agronomique, telles que le riz, le blé ou la tomate. «À l'avenir, nous pourrions utiliser nos connaissances pour induire sélectivement des barrières protectrices plus fortes dans les racines et ceci au moment précis où elles en ont besoin!», projette Verónica G. Doblas, première auteure de l’étude publiée dans Science et post-doctorante au Département de biologie moléculaire végétale de l’UNIL. «Cela pourrait rendre les plantes plus résistantes à des stress comme la sécheresse ou les maladies, ce qui permettrait de réduire les pertes de récolte ainsi que l’utilisation d’engrais et de pesticides».