Enseignante à la Faculté des lettres, Marta Caraion propose une exposition éclairant les relations entre les images et les textes d’hier à aujourd’hui. A découvrir à la Fondation Jan Michalski, de Montricher.
Au départ, la photographie inquiète, voire irrite les écrivains. Pas tous. Flaubert, par exemple, semble plus ouvert que Baudelaire, qui récuse toute dimension poétique à l’intruse trop servilement réaliste. « La photolittérature commence avec le voyage », relate Marta Caraion, maître d’enseignement et de recherche à la Faculté des lettres. Avec son collègue Jean-Pierre Montier (Université de Rennes), elle propose jusqu’à fin décembre une exposition qui permet de découvrir les diverses facettes de la collaboration entre la littérature et la photographie.
Pour les écrivains voyageurs, dans la solitude ou en compagnie d’un photographe, il s’agit de « ramener le monde chez soi » et de « capter un instant pour le conserver en mémoire, voire le transmettre aux générations futures », commente Marta Caraion. La nostalgie a toujours été ce qu’elle est. Dans les années 1849-1851, Maxime Du Camp ne s’intéresse qu’aux ruines dans l’un des premiers livres illustrés de photographies, qui ne comprend qu’une seule image non légendée de son prestigieux compagnon de voyage, Gustave Flaubert. Nous sommes encore loin de l’autofiction, quand le récit de soi peut s’appuyer sur le souvenir photographique, que l’image soit ou non présente dans l’espace même du livre. Le réalisme documentaire de Maxime Du Camp n’autorise pas l’invocation, voire l’invention d’une intimité à partir d’images muettes. Le voyage exotique côtoie la plongée esthétique et documentaire dans des territoires et des activités plus proches. Au nombre des cités qui inspirent les écrivains, les photographes… et les touristes, il faut mentionner en premier lieu Paris.
Instruire et distraire
L’exposition permet de feuilleter ou d’admirer sans les toucher des productions littéraires ou populaires illustrant ces relations diverses entre le textuel et le photographique, jusqu’aux expériences numériques les plus récentes. Deux exemples conservés sous une vitre : un ouvrage où la beauté d’un nu féminin, saisie par Man Ray, encadre des poèmes de Paul Eluard et un roman policier illustré par plus de cent photographies ; ce dernier aurait dû connaître de multiples avatars mais l’entreprise se heurta à un échec rare pour un auteur comme Georges Simenon. Ne veut-on pas voir ?
La littérature opère des choix jusque dans les choses vues, la fiction procède par sacrifices, alors que la photographie prise sur le vif n’omet aucun détail. Le dialogue entre les deux bute parfois sur cette différence. Jean-Pierre Montier, qui coordonne le catalogue de l’exposition avec Marta Caraion, rappelle que l’image la plus diffusée au XIXème fut celle de la lune. On veut savoir. Connaître. Mais aussi se distraire, voire s’émoustiller. Le roman-photo, qui met en scène des figurants « d’après nature », s’inaugure dès la fin du XIXème siècle et s’épuise autour des années 1980. Invité à l’UNIL par Marta Caraion, Jan Baetens (Université de Leuven) donne de ce genre une image contrastée. Si le roman-photo appartient majoritairement à la littérature sentimentale, il concerne également la science-fiction, le drame historique, l’horreur, le western, le policier, sans oublier le porno. Loin de la mystification ou de « l’escapisme », qui serait une fuite hédoniste hors du réel, on voit se dessiner dans les romans-photos – sous l’influence du néo-réalisme italien et au gré d’une presse féminine attentive à l’évolution des mœurs – un « véritable portrait-robot de la société contemporaine », écrit Jan Baetens.
Photolittérature, une exposition à la Fondation Jan Michalski, Montricher, jusqu’au 30 décembre 2016.
Conférence sur le roman-photo par Jan Baetens vendredi 9 décembre à 13h15 (Anthropole, 3174, entrée libre).