Parce que la FBM, ce ne sont pas que les professeur·e·s ordinaires, nous présentons chaque mois un·e jeune chercheur·euse, issu·e des sciences fondamentales ou cliniques, ou un membre du Personnel administratif et technique (PAT). Sous le feu des projecteurs ce mois, Caroline Pot, clinicienne chercheuse et professeure assistante boursière FNS au Service de neurologie du Département des neurosciences cliniques (DNC), en affiliation avec le Service d’immunologie et allergie du CHUV.
Pouvez-vous résumer votre parcours?
J’ai terminé mes études de médecine à Genève en 2000. Mais j’avais envie d’un parcours mixte entre clinique et recherche, et je suis donc partie pour l’Université de Zurich, à l’Institut de recherche sur le cerveau, où j’ai réalisé ma thèse sur la régénération neuronale avec le professeur Martin Schwab. J’ai ensuite effectué ma spécialisation en neurologie aux HUG. Je me suis envolée en 2008 pour les Etats-Unis pour rejoindre le groupe du professeur Kuchroo à la Harvard Medical School, à Boston. Là, j’ai développé mes connaissances en neuro-immunologie, en travaillant sur la sclérose en plaques et ses modèles murins. Je suis ensuite revenue en Suisse, à Genève, où j’ai continué à développer mon identité de chercheuse, tout en gardant un pied dans la clinique. Je suis arrivée dans le canton de Vaud en 2015, suite à ma rencontre avec le professeur Renaud Du Pasquier, qui souhaitait développer la neuro-immunologie à Lausanne.
Avec toujours ce profil de clinicienne chercheuse…
Tout à fait. A Lausanne, je continue à travailler en clinique, à 20% dans le Service de neurologie. Pour moi, c’est capital, recherche et clinique s’alimentent mutuellement. Certes, concilier les deux est parfois difficile, cela demande beaucoup d’investissement si on veut être à la hauteur dans les deux domaines, comme médecin et comme chercheuse fondamentale. Mais si on promeut la recherche translationnelle, je pense qu’il est important que des personnes fassent le pont entre les deux mondes. J’aime la liberté du chercheur et j’aime le contact avec les patients. Des patients qui posent de plus en plus de questions: essayer d’y répondre est mon objectif en tant que scientifique.
Vous évoquiez votre «identité de chercheuse»: pouvez-vous nous en dire plus?
Je m’intéresse au lien entre l’environnement et la réponse immunitaire, en utilisant les outils de l’immunologie en neurologie - mon poste est d’ailleurs à cheval entre le DNC et le Service d’immunologie et allergie. Dans le cas de la sclérose en plaques, maladie où le système immunitaire «se trompe» et attaque le système nerveux central, on peut distinguer deux aspects : un aspect génétique, qu’il est difficile de changer, et un aspect environnemental, sur lequel on peut agir. Je me suis notamment penchée sur le métabolisme des lipides, dont la perturbation semble jouer un rôle dans le développement de maladies auto-immunes. De grandes études de cohortes américaines ont ainsi montré que l’obésité, durant l’adolescence ou l’enfance, prédispose à la sclérose en plaques. Mais quels sont les mécanismes biologiques à l’œuvre? Par mes travaux, je suis parvenue à démontrer dans un modèle murin que des métabolites du cholestérol, les oxystérols, favorisaient la migration de cellules inflammatoires vers le cerveau. Nous cherchons maintenant à savoir si c’est vrai aussi pour les humains.
Ces recherches vous ont notamment valu le Prix Robert Bing en novembre 2016, prestigieuse récompense en neurologie. Signifient-elles qu’il y a quelque chose à faire en termes de nutrition pour les patients atteints de sclérose en plaques?
Nous en sommes aux pistes de recherche, nous cherchons à comprendre ce qu’il se passe au niveau digestif, en évaluant le rôle des métabolites du cholestérol et leurs interactions avec la flore et l’immunité intestinale. Mais nous savons qu’il y a une modification de la flore intestinale chez les patients atteints de sclérose en plaques, comme chez les obèses d’ailleurs. Bien évidemment, ces questions sont très importantes pour la clinique, où les patients sont très demandeurs d’information, et suivent parfois des régimes peu étayés scientifiquement. D’où l’importance de l’accent que le DNC a mis sur la recherche fondamentale, pour trouver des réponses à leurs questions.
Y a-t-il d’autres facteurs environnementaux à prendre en compte pour la sclérose en plaques?
Plus on va vers le Sud de l’Europe, moins il y a de cas. Et plus on va vers le Nord, plus la prévalence est élevée, par exemple en Scandinavie. Mais on observe aussi ce phénomène à l’échelle d’un pays comme la France. Il y a donc une composante environnementale forte, peut-être liée à l’ensoleillement, à la métabolisation de la vitamine D. Je m’intéresse beaucoup à ce gradient nord-sud, pour un autre aspect qui nous ramène aux intestins : le nombre plus élevé d’infections intestinales dans les pays du Sud, notamment en Afrique. A partir de ce constat, certains ont formulé l’hypothèse qu’une meilleure hygiène entraîne un risque accru de développer la sclérose en plaques et des maladies auto-immunes en général, y compris les allergies, l’asthme. Une étude sud-américaine semble étayer cette idée: la sclérose en plaques se caractérise par des poussées, or cette étude montrait qu’il y avait moins de poussées chez des patients présentant une infection parasitaire. Pour le dire de façon peut-être un peu simpliste, c’est comme si le système immunitaire avait besoin d’être régulièrement mis à l’épreuve, au risque sinon de se tromper…