Les rayons du soleil sont au cœur d’une compétition acharnée au sein du monde végétal. L’équipe du Prof. Christian Fankhauser au Centre intégratif de génomique (CIG) de l’UNIL a mis en évidence les signaux lumineux qui alertent la plante lorsqu’une congénère lui fait ombrage et lui permettent de retrouver le chemin de la lumière. Ses résultats sont à découvrir dans l’édition du 23 novembre 2016 de la revue scientifique «Current Biology».
Le phototropisme, c’est-à-dire la capacité à s'orienter par rapport à la lumière, est inhérent à la grande majorité des plantes. Dans la partie aérienne des plantes, le phototropisme est généralement positif avec une croissance directionnelle vers la lumière.
Depuis des siècles, ce phénomène fascine les scientifiques, à l’instar du célèbre botaniste allemand Julius von Sachs ainsi que de Charles Darwin et de son fils qui y ont consacré des travaux détaillés.
Un photorécepteur qui perçoit le gradient de lumière bleue
L’usage d’outils génétiques et de la plante modèle Arabidopsis thaliana, l’Arabette des dames, ont permis d’identifier en 1998 le photorécepteur capable de percevoir le gradient de lumière bleue. Celui-ci a été baptisé phototropine ou phot; l’Arabette des dames en possède deux, à savoir phot1 et phot2. D’autres acteurs qui interviennent dans la transmission du signal lumineux et permettent in fine la croissance asymétrique de la tige menant à la réorientation des feuilles vers la lumière ont par la suite été identifiés.
Eviter l’ombre
Si le phototropisme constitue l’un des mécanismes permettant aux plantes d’améliorer leur accès aux rayons du soleil, un autre processus est l’évitement de l’ombre. Ce dernier est contrôlé par une famille différente de photorécepteurs, les phytochromes (phy), capables de détecter la lumière rouge et rouge lointaine, avec le phyB qui joue un rôle prépondérant chez Arabidopsis thaliana.
«Les mécanismes qui permettent la mise en œuvre d’un nouveau programme de croissance en réponse aux signaux lumineux émis par les phytochromes sont en voie d’élucidation», relève Christian Fankhauser, professeur ordinaire au Centre intégratif de génomique de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et directeur de l’étude parue dans Current Biology. Restait toutefois à comprendre comment l’action des phototropines et celle des phytochromes sont coordonnées afin de permettre aux plantes d’optimiser leur croissance en cas de compétition pour la lumière, par exemple lors de forte densité végétale.
Le biologiste lausannois et son équipe ont cherché à élucider cette question en émettant une hypothèse: ils sont partis de l’idée que des signaux lumineux indiquant la proximité d’autres plantes devaient être captés par les phytochromes et favoriser ainsi le phototropisme. «Il a en effet été observé qu’en plein soleil, lorsqu’un accès à beaucoup de lumière est garanti, la majorité des espèces ne réorientent pas leurs feuilles en fonction des rayons du soleil. A l’inverse, en bordure de forêt où la compétition pour la lumière peut être intense, on observe souvent une orientation bien définie des feuilles», détaille Christian Fankhauser.
La plante réoriente sa croissance
Les travaux des chercheurs du CIG réalisés sur l’Arabette des dames ont confirmé cette hypothèse et démontré que phyB jouait bien un rôle prépondérant dans le contrôle du phototropisme par l’ombre végétale. Plus précisément, phyB contrôle l’activité d’une famille de facteurs de transcription qui induisent l’expression de gènes codant pour des enzymes de biosynthèse de la phytohormone auxine. Ainsi, lorsque la plante perçoit une voisine, elle synthétise plus d’auxine ce qui lui permet de réorienter sa croissance loin des congénères avec lesquelles elle est en compétition pour la lumière.
«Nous pensons que ce mécanisme permet aux plantes d’optimiser l’absorption des rayons du soleil et, par là même, la transformation de l’énergie solaire en sucre par le processus de la photosynthèse. Une bonne compréhension de ce phénomène est importante afin de mieux appréhender les mécanismes qui gouvernent la compétition entre plantes dans un milieu non seulement naturel, mais également agricole», projette Christian Fankhauser.
Des recherches potentiellement utiles pour l’agriculture
Au cours de la domestication, des variétés moins sujettes à l’évitement de l’ombre ont été sélectionnées. Un choix qui, a priori, constitue une bonne chose car l’évitement de l’ombre favorise la croissance des tiges, ce qui rend les plantes plus vulnérables aux intempéries et diminue la production de fruits ou tubercules. «L’énergie prise par la croissance des tiges l’est au détriment du développement des autres organes, notamment de ceux que nous consommons», explique le professeur.
Les travaux publiés dans Current Biology réalisés sur Arabidopsis thaliana suggèrent toutefois qu’il serait préférable de diminuer de façon sélective les propriétés d’évitement de l’ombre des plantes. Garder une partie de cette capacité de percevoir l’ombre des voisins participe en effet à un bon positionnement des feuilles et, en fin de compte, favorise le rendement. «Reste, bien sûr, à tester ces prédictions avec des plantes agricoles, l’Arabette des dames n’étant qu’une mauvaise herbe…», conclut Christian Fankhauser.