Chaque individu a un risque bien personnel de développer une maladie dite complexe, telle que le diabète, la dépression ou encore le cancer. Ce risque est en partie influencé par les variants génétiques, soit des lettres présentes dans la séquence d'ADN qui diffèrent d'une personne à l'autre. Deux études menées par des chercheurs du nouveau Département de biologie computationnelle de la Faculté de biologie et de médecine de l'UNIL démontrent comment ces variants ont le pouvoir de désorganiser des réseaux de gènes dans différents tissus de notre corps. Les résultats sont à découvrir dans les revues «Nature Methods» et «PLOS Computational Biology».
Les progrès réalisés grâce au séquençage du génome humain ont donné naissance à de grandes études qui comparent notamment les variant génétiques entre des individus sains et des individus malades. Ces études ont permis d'identifier avec succès des milliers de variants génétiques qui ont un lien avec différentes maladies. Toutefois, les mécanismes grâce auxquels ces variants sont capables d'influencer le développement d'une pathologie donnée demeurent encore mal compris, freinant ainsi la mise sur pied de tests diagnostiques plus performants et de traitements plus personnalisés pour les patients.
Daniel Marbach, David Lamparter et le Prof. Sven Bergmann, chercheurs au Département de biologie computationnelle (DBC) de la FBM et à l'Institut suisse de bioinformatique (SIB), en collaboration avec Zoltán Kutalik (FBM-CHUV-SIB), le Massachusetts Institute of Technology (MIT) et l'Université d'Harvard, ont cartographié des réseaux de gènes interactifs dont l'activité est perturbée par les variants génétiques dans des centaines de types de cellules et de tissus humains.
Des régions régulatrices encore mal comprises
«Le challenge réside dans le fait que plus de 90% des variants génétiques se situent en dehors des gènes, dans des régions du génome qui sont encore mal comprises», explique Daniel Marbach, chercheur FNS au DBC et premier auteur de l'étude publiée dans Nature Methods. «Ces régions peuvent avoir des fonctions régulatrices, qui sont parfois interrompues par les variants génétiques. Les choses se compliquent encore davantage étant donné que la fonction régulatrice peut varier entre différents types de tissus. Par exemple, un certain gène peut en activer un autre dans le foie, mais pas dans le coeur».
L'équipe s'est alors fixé comme objectif de créer des «cartes» précises des réseaux de régulation qui contrôlent l'activité des gènes dans une cellule ou un tissu donné. En couplant les données d'un consortium de recherche international (FANTOM) avec les nouvelles techniques d'analyse, les chercheurs sont parvenus à constituer des cartes précises des réseaux de gènes pour environ 400 types différents de cellules et tissus humains - soit la plus large collection à ce jour - allant des cellules immunitaires aux tissus cérébraux, alors que jusqu'à présent les études étaient limitées à un, voire quelques tissus. Chacun de ces réseaux décrit des centaines de milliers d'interactions régulatrices parmi plus de 19'000 gènes, donnant ainsi une première vision globale du «système de contrôle» de ces divers cellules et tissus.
Les réseaux sociaux pour modèle
L'hypothèse consistait à dire que les variants génétiques peuvent perturber des gènes interconnectés dans les réseaux de régulation de tissus spécifiques à certaines maladies. Afin de la vérifier, les scientifiques ont employé des techniques similaires à celles appliquées aux réseaux sociaux pour obtenir des informations sur les utilisateurs en se basant sur leurs interconnections. En d'autres termes, ils ont employé des réseaux biologiques pour obtenir des informations sur les gènes responsables de pathologies.
En s'intéressant aux données génétiques pour diverses maladies neurodégénératives, psychiatriques, immunitaires, cardiovasculaires et métaboliques, les chercheurs ont découvert que les variants affectaient souvent des groupes de gènes étroitement interconnectés dans des réseaux de régulation, confirmant ainsi leur hypothèse. Qui plus est, les composants du réseau affecté indiquaient avec précision les types de cellules ou tissus impliqués dans le processus pathologique. «Par exemple, les patients souffrant de schizophrénie ont des variants génétiques qui perturbent des gènes du tissu cérébral responsable du comportement cognitif et émotionnel, alors que des variants génétiques associés à l'obésité interfèrent avec des gènes qui interagissent dans les tissus du système intestinal», détaille Daniel Marbach.
Vers des traitements thérapeutiques plus ciblés
«Nos travaux démontrent que des cartes précises des réseaux de gènes pour différents tissus revêtent une importance capitale pour mieux comprendre le démarrage et la progression des maladies, un facteur essentiel pour élaborer des traitements plus efficaces et plus ciblés avec moins d'effets secondaires pour le patient», conclut le Prof. Sven Bergmann, qui dirige le Groupe de biologie computationnelle au DBC.