Au Département d'oncologie fondamentale de l'UNIL, l'équipe du Prof. Pedro Romero a mis en évidence un mécanisme cellulaire permettant d'augmenter la mémoire immunitaire des lymphocytes T, offrant par la même occasion une nouvelle cible thérapeutique contre le cancer. Leurs recherches sont à découvrir dans l'édition du 21 janvier 2016 de la revue «Cell Reports».
La mémoire immunitaire est un mécanisme fondamental permettant au système immunitaire de se «souvenir» et ainsi de devenir résistant à de nombreuses infections virales et bactériennes. Elle est médiée par les lymphocytes T et B, mais le(s) mécanisme(s) de développement sont encore mal connu(s). De nombreuses données cliniques démontrent également que les patients cancéreux développant une réponse immunitaire contre leur tumeur bénéficient d'une meilleure survie. Ces observations suggèrent fortement que la génération d'une mémoire immunitaire efficace contre la tumeur permettrait de maintenir un contrôle du cancer à long terme et ainsi de diminuer les récidives.
Au niveau cellulaire, plusieurs travaux scientifiques indiquent que la voie de signalisation mTOR, nécessaire à de multiples fonctions de la cellule, jouerait également un rôle dans le développement des fonctions effectrices et mémoires des lymphocytes T. L'enzyme kinase mTOR est un composé essentiel pour deux complexes de signalisation intracellulaire, mTORC1 et mTORC2. Grâce à une collaboration avec Michael Hall et Markus Ruegg de l'Université de Bâle, qui ont développé des modèles de souris génétiquement déficientes en l'un ou l'autre complexe, l'équipe lausannoise a pu disséquer les rôles respectifs de mTORC1 et mTORC2 dans le développement des fonctions effectrices et mémoires des lymphocytes T CD8.
Des molécules «mémoires» sur-exprimées
«Notre étude démontre pour la première fois le rôle important de l'axe de signalisation mTORC2-Akt-Foxo dans la différentiation des lymphocytes T CD8 en cellules mémoires dans un modèle d'infection bactérienne par Listeria monocytogenes chez la souris», détaille Pedro Romero, professeur ordinaire au Département d'oncologie fondamentale de l'UNIL, qui a mené l'étude. «En effet, l'inactivation génétique de la protéine Rictor, essentielle au complexe mTORC2, confère un profil mémoire augmenté aux lymphocytes T CD8 tant par l'expression de plusieurs marqueurs caractéristiques que par leur capacité de répondre rapidement à une réexposition à l'antigène.»
Plus spécifiquement, les chercheurs ont observé que les cellules T CD8 déficientes pour mTORC2 sur-expriment des molécules «mémoires» telles qu'IL-2, CD62L et CD127 marquant leur capacité de répondre beaucoup plus rapidement à une deuxième infection tout en préservant leurs fonctions effectrices pour lutter contre l'infection bactérienne primaire. Le mécanisme intracellulaire implique des facteurs de signalisation cytoplasmiques conduisant à la stabilisation nucléaire du facteur de transcription Foxo1 entraînant une expression augmentée des facteurs de transcription Tcf-1 et Eomes ainsi qu'une diminution de T-bet, qui ensemble favorisent l'acquisition du profil «mémoire».
Grâce à une collaboration avec l'équipe dirigée par le Prof. Lluis Fajas, Directeur du Département de physiologie de l'UNIL, les scientifiques ont pu établir un lien entre ces mécanismes de signalisation et l'apparition d'une reprogrammation métabolique typique de cellules T mémoires. De manière générale, la quasi-totalité de l'énergie produite dans la cellule provient des mitochondries localisées dans le cytoplasme de la cellule. Plusieurs travaux scientifiques ont montré que les lymphocytes T CD8 mémoires privilégient l'oxydation mitochondriale d'acide gras et contiennent un compartiment de réserve énergétique (SRC) supérieure aux cellules T effectrices, leur permettant une production d'énergie rapide pendant des périodes de stress. «Notre étude montre que, conjointement à l'acquisition d'un phénotype «mémoire», les cellules T CD8 déficientes pour mTORC2 présentent également une reprogrammation métabolique similaire aux lymphocytes T mémoires», explique Pedro Romero.
Vers de nouvelles voies thérapeutiques
Les résultats de ces travaux offrent une possibilité thérapeutique innovatrice consistant à inhiber spécifiquement le complexe mTORC2 dans le but de générer une réponse mémoire robuste et à long terme contre les récidives de cancer chez des patients. L'approche thérapeutique préférée impliquera en premier lieu la sélection de composés inhibiteurs spécifiques du système mTORC2. Les cellules T CD8 isolées de la tumeur d'un patient seront traitées avec ce/ces inhibiteur(s) afin de les reprogrammer en cellules T mémoires puis de les réinjecter dans le patient après expansion in vitro. Cette technique appelée transfert adoptif de lymphocytes autologues est déjà utilisée en clinique dans le cadre d'autres stratégies d'immunothérapie. Cette approche permettra à la fois de limiter les effets secondaires de l'inhibiteur de la voie de signalisation mTORC2 essentielle à de nombreux types cellulaires et en même temps d'augmenter le ciblage de la tumeur par des lymphocytes spécifiques. Grâce à cette mémoire immunitaire augmentée et fonctionnelle, les patients seraient davantage protégés contre les récidives de cancer.