Maladie d'Alzheimer, sclérose en plaques, troubles neuropsychiatriques, méningites: la présence de processus inflammatoires ou infectieux dans le cerveau est, depuis un certain temps déjà, suspectée de contribuer à l'apparition de déficits cognitifs. Aucune étude à ce jour n'a toutefois pu établir un lien de cause à effet entre l'inflammation et le déclin cognitif, ni expliquer comment les deux processus seraient liés. Le groupe du Prof. Andrea Volterra au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de biologie et de médecine de l'UNIL a trouvé le chaînon manquant: les astrocytes.
Ces travaux avant-gardistes, menés en collaboration avec des chercheurs de l'Université de Zurich, sont à découvrir dans l'édition en ligne du 10 décembre 2015 de la prestigieuse revue Cell.
L'autre moitié des cellules de notre cerveau
Moins étudiées que les neurones, les astrocytes, qui constituent pourtant 50% des cellules de notre cerveau, demeurent encore mystérieuses et leur fonction mal comprise. Avec un squelette de forme étoilée, d'où leur étymologie astro-étoile et cyte- cellule, ces cellules gliales du système nerveux central sont classiquement connues pour assurer le support et la protection des neurones.
Spécialiste de l'étude de la fonction des astrocytes, le Prof. Andrea Volterra et son équipe au Département des neurosciences fondamentales (DNF) de la Faculté de biologie et de médecine (FBM) de l'UNIL ont réalisé au cours des vingt dernières années diverses recherches qui ont conduit à une nouvelle vision du fonctionnement du cerveau. «Selon notre théorie - que les chercheurs qualifient de "provocatrice" - le fonctionnement cérébral est basé non seulement sur le "traitement de l'information" exploitée par des circuits neuronaux, comme on le croit généralement, mais aussi sur l'interaction modulatrice constante entre ces circuits et les cellules gliales, incluant les astrocytes», résume le neurobiologiste. Si on regarde le fonctionnement cérébral selon cette nouvelle perspective, de nombreuses maladies, parmi lesquelles les maladies neurodégénératives, ne proviendraient pas d'un processus dégénératif autonome des neurones, mais plutôt du mauvais fonctionnement de l'interaction coordonnée entre les neurones et les cellules gliales.
Une information altérée
Financée par une subvention du Conseil européen de la recherche (ERC) et par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), la nouvelle étude publiée dans la revue Cell ajoute un élément important à la théorie soutenue par le Prof. Volterra. Celle-ci révèle en effet comment les atteintes de la mémoire peuvent dériver d'une coordination altérée entre les astrocytes et les neurones. Les scientifiques ont mis en évidence que les astrocytes agissent comme détecteurs du processus inflammatoire et traduisent ce dernier aux circuits neuronaux impliqués dans la formation de la mémoire sous forme d'une information altérée, provoquant de ce fait un déficit cognitif.
Dans le détail, les astrocytes, en collaboration avec d'autres cellules gliales, sont connues pour s'activer et pour se placer en première ligne lors des processus inflammatoires ou infectieux touchant le cerveau. Bien que leur principal objectif soit de préserver la fonction neuronale, l'étude démontre que les astrocytes ne jouent pas seulement un rôle positif pour les neurones dans cette situation. «Nous avons découvert que les astrocytes, par l'intermédiaire de récepteurs spécifiques, détectent le niveau d'un messager inflammatoire particulier, baptisé TNFα pour "Facteur de nécrose tumorale-alpha", et y réagissent en envoyant une information arrivant sur les neurones», expliquent Samia Habbas et Mirko Santello, premiers coauteurs de l'étude et respectivement première assistante et ancien doctorant au DNF.
En d'autres termes, tant que la situation est normale, le niveau de TNFα demeure faible et les astrocytes agissent alors uniquement en modulant la fonction neuronale. Mais au cours d'une inflammation ou d'une infection cérébrale, les niveaux de TNFα augmentent entraînant la transmission par les astrocytes d'un message anormal qui altère le fonctionnement neuronal.
Lorsque les événements inflammatoires ont lieu au niveau des circuits de la mémoire, tels que ceux de la région de l'hippocampe, le dommage affecte la capacité d'apprendre et de stocker des informations. Ce mécanisme délétère a été spécifiquement identifié par les scientifiques lausannois dans un modèle murin de sclérose en plaques, une maladie qui induit chez au moins 50% des patients des déficits cognitifs, dont les causes n'étaient pas connues auparavant.
Nouvelles possibilités pour le traitement de la déficience cognitive
Si cette découverte offre un nouvel éclairage sur un aspect important de la sclérose en plaques, elle va bien au-delà. «Compte tenu de la similitude des processus inflammatoires dans plusieurs pathologies cérébrales, les mécanismes identifiés dans notre étude pourraient être la cause de déficits de la mémoire également dans d'autres conditions pathologiques, notamment la maladie d'Alzheimer», projette le Prof. Andrea Volterra. Autrement dit, grâce à l'identification de certains récepteurs spécifiques qui interviennent dans le mécanisme d'atteinte de la mémoire découvert par les scientifiques lausannois, il devient possible de cibler pharmacologiquement ces récepteurs avec des agents ad hoc. «Avec pour résultat, nous l'espérons, d'atténuer la déficience cognitive», conclut le professeur.