En peluche, il est mignon. Dans la réalité, l'animal, menacé d'extinction, est belliqueux. La récolte de matériel biologique sur un seul individu relève du défi. Des chercheurs de l'UNIL se sont approchés du problème en utilisant comme source d'ADN pour leurs analyses des échantillons biologiques faciles à obtenir, car non-invasifs: des crottes. Les résultats? Une meilleure compréhension de l'histoire évolutive de l'hippopotame et des recommandations pour la conservation de cet animal emblématique. L'étude vient d'être publiée dans la revue «Molecular Ecology» du mois de mai 2015.
Hippo, y es-tu ?
L'histoire évolutive et la biologie de l'hippopotame sont très peu connues. L'espèce est en effet considérée comme l'une des plus dangereuses au monde pour l'homme, ce qui a notablement limité l'attirance des scientifiques à son égard. Par conséquent, le statut génétique de ses populations est largement méconnu, du fait de la difficulté d'obtenir des échantillons biologiques pour les analyses ADN.
Le travail d'équipe des scientifiques
Une équipe internationale de scientifiques dirigée par le Dr Luca Fumagalli (Laboratoire de biologie de la conservation du Département d'écologie et évolution de l'UNIL et Centre universitaire romand de médecine légale) s'est risquée sur le sujet en évitant l'affrontement direct. La récolte d'échantillons ADN d'une manière invasive, nécessitant la capture des animaux, a été évitée au profit d'une récolte de crottes, ainsi que d'une collecte de matériel osseux en provenance des musées, nettement moins dangereuses. Si la méthode gagnait en sûreté, elle a nécessité un arsenal high-tech des plus pointus pour réaliser des analyses génétiques sur des échantillons ne contenant que de très faibles quantités d'ADN, de piètre qualité de surcroît.
Grâce à un réseau de collaborateurs africains, danois et français, les chercheurs ont pu échantillonner du matériel biologique pour les analyses génétiques dans l'ensemble de l'aire de distribution de l'espèce. Les premiers auteurs sont une étudiante de Master (Céline Stoffel) et un doctorant (Christophe Dufresnes), tous deux travaillant ou collaborant avec l'équipe de recherche du Dr Fumagalli.
Quelques notions d'histoire et d'évolution
Il est aujourd'hui bien connu que les changements climatiques du passé ont drastiquement influencé la distribution et la diversité des espèces animales et végétales actuelles. En guise d'exemple, l'alternance des cycles glaciaires du Pléistocène (-2.6 Mio d'années à -12'000 ans) a forcé les espèces adaptées à un climat tempéré à se confiner, lors des périodes froides, dans des zones refuge disjointes au climat plus favorable. Elles se sont ensuite dispersées à nouveau à partir de celles-ci pendant les périodes chaudes. Les stigmates de ces phases d'isolement restent détectables après la reconquête du continent sous la forme de groupes génétiquement bien différenciés. L'étude de ces phénomènes qui ont conduit à la biodiversité actuelle permet par ailleurs aux scientifiques de hiérarchiser les régions et les populations à haute valeur pour la conservation.
En ce qui concerne l'hippo
Semi-aquatique, l'espèce a dû faire face à des changements drastiques des réseaux hydrographiques durant les fluctuations climatiques du passé. L'Afrique a en effet subi une alternance entre des phases pluvieuses (avec une extension des forêts tropicales) et arides (avec une extension des savanes). Pour les auteurs de cette étude, il était par conséquent un candidat idéal, malgré son mauvais caractère, pour étudier les conséquences des instabilités climatiques sur la génétique des populations. De plus, ces travaux ont permis de formuler des suggestions sur la gestion et la conservation de l'espèce. Il faut préciser que les populations d'hippopotames sont en régression constante depuis des décennies, sans qu'on en comprenne complètement les raisons, au point que l'espèce est considérée comme «vulnérable» dans la Liste rouge des espèces menacées (UICN).
L'hippo, roi des animaux
Les premiers résultats de cette étude ont surpris les chercheurs: pour l'hippopotame, et contrairement à ce qui a été observé chez les autres mammifères de la savane, on n'observe pas de structuration génétique au niveau du continent, comme on aurait pu s'y attendre. En d'autres termes, il n'y a pas de distinction entre les populations d'Afrique de l'Ouest, de l'Est ou du Sud qui ont joué le rôle de refuges lors des périodes climatiques arides du Pléistocène. Ces résultats suggèrent que ces populations étaient autrefois fortement connectées et bien plus importantes, notamment pendant les périodes humides du passé.
Plus précisément, les analyses statistiques et démographiques à partir des paramètres génétiques obtenus par séquençage de l'ADN suggèrent que les populations d'hippopotames ont entrepris une expansion démographique et spatiale il y a environ 200'000 ans. Durant cette période, qui a été caractérisée par une grande instabilité climatique, ont eu lieu de fréquents débordements du réseau hydrographique sur le continent africain. Ces événements ont permis la dispersion massive et rapide d'hippopotames à travers l'ensemble du continent africain, avec des populations suffisamment connectées entre elles pour effacer par brassage génétique les éventuels stigmates des périodes de régression dans des zones refuge.
Une stratégie de conservation pour les hippopotames
Cependant, à l'heure de la menace d'extinction, les populations actuelles d'hippopotames, vues à un niveau local, sont fragmentées et fortement différenciées entre elles au niveau génétique: l'aridification actuelle du continent africain et les activités humaines sont vraisemblablement les moteurs de cette évolution. Sur la base de ces résultats, les chercheurs suggèrent une stratégie de gestion et de conservation régionale spécifique, en vue d'optimiser la protection de la diversité génétique locale et de reconnecter les populations d'hippopotames, désormais menacées d'extinction.