Paul Beaud, Professeur de sociologie et Directeur de l'institut de sociologie des communications de masse à l'Université de Lausanne, est décédé dimanche dernier au terme d'une pénible maladie.
Même si, comme il se plaisait à le rappeler, les paroles ou les idées n'ont pas nécessairement d'effets, ses réflexions et sa personnalité ont eu un impact considérable sur ceux et celles qui l'ont côtoyé. En tant qu'enseignant en sociologie du travail, des médias, de la culture et de la communication, il a marqué des générations d'étudiant-e-s par son ouverture d'esprit et son érudition. Par sa culture impressionnante, il les a incité-e-s à reposer les problèmes sous des angles inédits et à s'interroger sans cesse. En défendant avec une conviction jamais tarie une conception du savoir tournée vers la liberté et la réflexion, mais aussi vers une forte exigence de culture, il a dirigé de nombreuses recherches, thèses de doctorat et mémoires de fin d'études qui ont très souvent façonné la vie professionnelle et intellectuelle de leurs jeunes auteur-e-s. Il a également stimulé la curiosité intellectuelle de ceux et celles qui ont eu la chance de faire partie de son institut et soutenu des domaines scientifiques encore peu explorés dans les universités suisses, notamment la sociologie des sciences et les études genre.
En tant que sociologue, Paul Beaud a su inscrire dans une perspective théorique ambitieuse ses réflexions sur les mutations de l'histoire et de la société. Mentionnons un de ses livres majeurs, très souvent cité, La société de connivence (1984). Ce texte de référence place au coeur de la sociologie des médias l'analyse des rapports de pouvoir et des modes de légitimation sociale. Cet ouvrage, toujours d'actualité, montre avec rigueur et finesse que l'étude des médias doit être réintégrée dans un questionnement sociologique plus général qui porte sur les moyens de diffusion culturelle et, plus largement, sur les modes de socialisation. En tant que membre fondateur et expert exigeant de la revue de renom Réseaux, son travail a grandement contribué à étendre l'analyse des médias à celle des médiations qui révèlent, au sens quasi photographique du terme, l'organisation sociale et ses transformations.
Son sens de la rigueur et son esprit de liberté lui permettaient d'éviter les dogmatismes faciles et d'arpenter sans cesse de nouveaux territoires. Ses enseignements sur l'histoire de la mesure - celle du temps, du travail ou encore de nos comportements - étaient éblouissants de culture et d'érudition. L'écouter était une invitation non seulement à comprendre la genèse et l'actualité de notre société moderne, mais aussi à saisir la place que chacun-e- d'entre nous y occupait. Il lui arrivait ainsi d'ouvrir ses cours en demandant aux étudiant-e-s débutants quelle était leur intuition par rapport à la répartition de la population suisse en catégories sociales. Le résultat de l'expérience était saisissant : la grande majorité des étudiant-e-s, le regard biaisé par leurs propres origines sociales, concevait le monde social comme étant peuplé de cadres et d'intellectuels. Le constat d'un tel biais, loin de susciter chez Paul Beaud l'ironie ou le reproche, était pour lui l'occasion d'initier, grâce à la sociologie, le redressement de notre myopie sociale.
Paul Beaud a aussi marqué celles et ceux qui l'ont côtoyé par sa loyauté, son sens de la convivialité, son humour et sa générosité, mais aussi son goût pour les contrepétries, le bon vin, le soleil de la Grèce et les cantatrices mezzo-sopranos...