Homme d’Eglise, prince, diplomate, poète et mécène, Aymon de Montfalcon (1443-1517) a laissé son empreinte à Lausanne, notamment au Château Saint-Maire et à la cathédrale. Un colloque consacré à cette riche personnalité est organisé les 31 août et 1er septembre. Des chercheurs issus de différentes disciplines feront part de leurs découvertes récentes.
Cinq cents ans exactement après sa mort, Aymon de Montfalcon est mis en lumière grâce à un colloque, le 31 août et le 1er septembre. Ouvert au public, cet évènement a été organisé par des chercheurs de l’UNIL issus de trois disciplines : histoire, histoire de l’art et littérature. Une diversité d’approches nécessaire pour appréhender la personnalité de l’avant-dernier évêque de Lausanne, à la fois homme d’Eglise, prince, diplomate, poète et mécène.
«Nous assumons le paradoxe qui consiste à parler d’un évêque l’année où l’on célèbre les 500 ans de la Réforme», pose Bernard Andenmatten, professeur en Section d’histoire et co-organisateur du colloque. Dans certains esprits, Aymon de Montfalcon conserve l’image d’un prélat mondain, certes cultivé, mais davantage préoccupé par les arts que par la pastorale. Or, il a fondé trois couvents aujourd’hui disparus, à Morges, Savigny et près du Chalet à Gobet. Ce genre de démarche n’était plus dans l’air du temps depuis des éons. De plus, cet homme d’Eglise «a résidé dans son diocèse, alors que d’autres n’y mettaient jamais les pieds, ajoute le chercheur. Il a exercé un contrôle sur son clergé et s’est soucié des questions d’orthodoxie.»
Imprimerie et histoire
L’évêque s’est intéressé «au nouveau média d’alors, l’imprimerie. Sous son épiscopat, entamé en 1491, plusieurs livres furent édités à Lausanne», remarque Bernard Andenmatten, dont l’intervention ouvrira le colloque. Nommé à son poste grâce à la protection des ducs de Savoie, qui régnaient alors sur Vaud, le prélat «a fortifié son petit Etat princier, dans lequel il tenait sa cour. Intéressé par la littérature et par l’histoire, Aymon de Montfalcon fit rédiger une Descendance des évêques de Lausanne.»
Né à Flaxieu, dans l’Ain, l’évêque a mené une intense activité diplomatique, dépêchant par exemple des ambassades à Rome, où il avait l’oreille des papes Alexandre VI puis Jules II. S’il a joué les intermédiaires entre les cantons suisses et la cour de Savoie, il réglait également des conflits locaux. Un fragment de journal, daté de décembre 1494, mentionne son activité de pacification des querelles à Avenches (une possession épiscopale). Ce précieux document mentionne l’intérêt d’Aymon de Montfalcon pour les ruines de la capitale de l’Helvétie romaine, qualifiées de «merveilles».
Du Moyen-Age à la Renaissance
Cette sensibilité renvoie à la passion de l’évêque pour les arts, ainsi qu’à son esprit humaniste et européen. A Lausanne, il a «beaucoup transformé le Château Saint-Maire», indique Brigitte Pradervand, historienne de l’art et co-organisatrice du colloque (avec Dave Lüthi, professeur en Section d’histoire de l’art). Ce bâtiment, siège des baillis bernois puis du gouvernement cantonal, est justement en cours de restauration. Un chantier qui soulève de nouvelles questions.
Dans une salle de conférence, «Benoît de Montferrand, l’évêque précédent, est représenté en prière avec sa suite, dans un style encore gothique, précise la chercheuse. Alors qu’Aymon de Montfalcon, une génération plus tard, a commandité des oeuvres Renaissance pour les deux longues peintures murales qui se répondent dans un couloir, au rez-de-chaussée du Château.»
En filigrane, des liens familiaux apparaissent, puisque Claude, l’un des frères de Benoît, a épousé Alix, la soeur d’Aymon. Il n’est donc pas étonnant que les motifs médiévaux aient été conservés par le nouvel évêque, un homme qui incarne la transition entre deux époques.
L’évêque fait des signes
La cathédrale conserve les empreintes les plus visibles d’Aymon de Montfalcon. Tout d’abord, il a fait fermer la «grande travée», cette rue qui coupait la cathédrale du Nord au Sud, juste à côté des tours. Gagnant une vingtaine de mètres dans l’opération, l’édifice s’est ouvert dans la direction Est-Ouest après la suppression de la porte d’origine (voir le plan sur cette page). Ses armoiries, qui comportent notamment deux aigles, une mitre et une crosse, sont inscrites dans la pierre sur le lieu même de ses interventions.
Pour le nouvel huis du bâtiment, le prélat a commandité un portail de style gothique flamboyant, dont l’histoire tourmentée et la reconstruction au tournant du XXe siècle font l’objet d’une exposition à l’Espace Arlaud (lire l’article). Enfin, dans la tour Nord, Aymon de Montfalcon se fit créer une chapelle (visible derrière une grille de fer) dans laquelle trônent de splendides stalles. Les curieux dotés d’une bonne vue peuvent y observer, gravées dans le bois, les lettres «AM».
Le prélat «a laissé de nombreux signes tangibles de son action. Ses armoiries, ce monogramme ou encore sa devise tirée de l’Enéide de Virgile, Si qua fata sinant – si les destinées le permettent, se retrouvent dans plusieurs lieux, sous plusieurs formes et à destination de publics différents», explique Brigitte Pradervand, dont l’intervention lors du colloque va porter sur les représentations de l’évêque, au sens large. L’historienne de l’art recourt volontiers à l’image du rébus ou du jeu de piste. «Ces éléments ont été déposés sciemment, et il nous revient de chercher la clé du mystère.» L’évènement des 31 août et 1er septembre en constitue l’occasion.
Hors du chef-lieu, Aymon de Montfalcon est immortalisé dans l’un des vitraux de l’église de Curtilles (VD) et sur des pièces de monnaie. «A sa cour exerçaient des enlumineurs, des écrivains, des tailleurs de pierre, des verriers, des peintres, des artisans du bois, souvent de talent. L’existence d’un tel entourage est très rare dans notre région.»
Certes, renchérit Bernard Andenmatten, «des figures de princes d’Eglise, à la fois diplomates et mécènes, apparaissent à la Renaissance. La France compte plusieurs exemples. Mais Aymon de Montfalcon ne possède pas d’équivalents locaux, sauf peut-être l’évêque de Sion, Matthieu Schiner, qui devint ensuite cardinal.»
Amour courtois
L’enluminure qui illustre cet article montre le poète bourguignon Antitus Favre présentant son oeuvre à Aymon de Montfalcon. De ce dernier, deux textes nous sont parvenus, dont un poème consacré à un mystérieux amour de jeunesse. «L’évêque possédait une certaine ferveur pour la littérature médiévale, explique Jean-Claude Mühlethaler, professeur honoraire en Section de français. Son Procès du banni à jamais du Jardin d'Amour contre la volonté de sa Dame s’inscrit dans le sillage du Roman de la Rose (XIIIe siècle) et de La Belle dame sans mercy d’Alain Chartier (v. 1385 – v. 1430), deux grands succès de la littérature courtoise. »
Dans le cadre de son intervention au colloque, Jean-Claude Mühlethaler s’est penché sur une peinture murale de style Renaissance qui se trouve au Château Saint-Maire, dans la chambre de l’évêque. Elle figure une femme nue sur un cheval, qui galope en direction d’un rocher au risque de s’y fracasser. Le professeur est parvenu à identifier cette allégorie grâce à un manuscrit conservé à Paris. Sans trop en dévoiler pour laisser la surprise aux participants du colloque, cette représentation illustre avant tout les dangers qui guettent la folle jeunesse sur son chemin vers l’âge mûr.
Le rocher et le destin
De plus, dans la mythologie romaine, le rocher renvoie à la divinité Fortuna, soit le sort ou le hasard. Cette notion résonne avec la devise de l’évêque, qui évoque les destinées. «Remarquez la différence de registre entre la fortune, d’ordre proverbial et courant, et si qua fata sinant, d’ordre épique», souligne le chercheur. Cette sentence latine, prononcée par Junon dans l’Enéide, s’applique à Carthage. Elle exprime le désir, émis par la déesse, de voir cette cité qu’elle chérissait régner sur les autres nations. Mais cela n’arrivera jamais. Cette espérance déçue donne ainsi une nuance un tantinet funeste à la devise de l’homme d’Eglise.
De manière plus terre à terre mais également plus plaisante, cette peinture comporte un quatrain. «Celui-ci précise que la figure féminine avance sans selle ne sans frain. Or, à l’époque, chevaucher sans selle désignait l’acte sexuel. Cette allusion grivoise, située dans un lieu privé, offre un contraste saisissant avec le cycle de peintures murales qui orne le couloir central, un espace public.»
Les peintures murales (se) parlent
Ces dernières, qui se déroulent chacune sur 16 mètres, ont déjà été identifiées. Elles datent du début des années 1500. Contre le mur Sud s’affichent des figures féminines de style Renaissance, ainsi que des textes issus du Bréviaire des nobles d’Alain Chartier (1463). «Ce poème constitue le livre de chevet de la noblesse d’alors, car il défend sa position et met en valeur ses vertus. Son succès va perdurer jusqu’à la fin du XVIe siècle», explique Jean-Claude Mühlethaler.
La partie Nord accueille également un mélange de textes et de personnages féminins. Il s’agit d’une suite de pièces lyriques, les «Enseignes» des Douze Dames de rhétorique. Rédigée en 1463, l’œuvre prend la forme d’un échange entre les écrivains George Chastelain et Jean Robertet. Elle implique également Jean de Montferrant.
Ce face à face ne doit rien au hasard. «Alain Chartier est le représentant majeur de la littérature de la cour de France. George Chastelain est un auteur essentiel de la cour de Bourgogne, expose Jean-Claude Mühlethaler. Or, ce dernier a reproché aux Français leur attitude face au Bourguignon Charles le Téméraire, en conflit avec Louis XI.»
L’opposition entre ces deux camps est ainsi mise en scène dans le couloir du Château Saint-Maire. Toutefois, «en les plaçant en vis à vis, Aymon de Montfalcon plaide pour une entente retrouvée entre ces deux filons de la littérature du XVe siècle.» Une autre trace de la curiosité et de l’ouverture d’esprit de l’évêque.
En deux lieux
Le 31 août, le colloque (ouvert au public) se déroulera à l’UNIL. Le lendemain, c’est le château Saint-Maire qui accueillera les participants. Une occasion rare d’approcher, de manière intellectuelle mais également matérielle, la riche personnalité d’Aymon de Montfalcon.